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met en avant sur le pays contesté des droits historiques, et, comme il arrive en pareil cas, chacun, s’arrêtant à la période de l’histoire qui lui est le plus favorable, étend ses revendications presqu’aussi loin que se sont jadis étendues ses conquêtes.

Le conflit gréco-bulgare, terminé en apparence par l’invasion ottomane, qu’il a singulièrement facilitée, a repris à l’abri même de la domination turque. Dans cette nouvelle phase du duel, l’hellénisme a eu depuis le XVe siècle tous les avantages. Grâce au patriarche de Constantinople, chef suprême de tous les chrétiens orthodoxes de l’empire, grâce aux Grecs du Phanar, les habiles instrumens de la Porte, l’hellénisme a eu à son service la puissance religieuse et parfois aussi la puissance politique. Le triomphe qu’il n’a pu s’assurer avec de pareils moyens, alors que les Bulgares, frappés d’un double despotisme civil et ecclésiastique, avaient presque perdu conscience de leur nationalité, comment les Grecs peuvent-ils l’espérer alors que sous l’impulsion des Russes et des Serbes, les Bulgares, ayant repris conscience de leur nombre, se sont partout soulevés contre l’hégémonie grecque et lui ont déjà enlevé son arme principale, l’autorité religieuse ? La querelle nationale de l’hellénisme et du slavisme a été en effet portée dans l’enceinte de l’église, qui, en Orient, sert encore de forme ou de cadre à la nationalité. L’hellénisme a sur ce terrain rencontré une défaite qui, pour n’avoir pas été complète, ne laisse pas d’être le plus grand échec qu’ait subi la cause grecque depuis l’entrée de Mahomet II à Constantinople. Je veux parler de la création de l’exarchat bulgare en 1869.

Les Bulgares, jusqu’alors confondus avec les Grecs dans la grande église byzantine, héritière de l’empire d’Orient, se plaignaient depuis longtemps du haut clergé phanariote. Ils reprochaient à l’épiscopat, presque uniquement composé de Grecs, de dédaigner la langue et l’intelligence de ses ouailles, de leur refuser toute instruction et d’en tirer des droits exorbitans au profit de l’église du Phanar. La haine des Bulgares contre l’oppression s’était tournée plutôt contre les Grecs que contre les Turcs : ceux-ci, disaient-ils, ont assujetti nos corps, les autres nos âmes. Ces plaintes ou ces colères, souvent outrées, étaient encouragées par tous les ennemis politiques ou religieux des Grecs, par les agens russes d’un côté, par les missionnaires catholiques ou protestans de l’autre. Le Vatican, en cela secondé par la diplomatie française du second empire, voulut profiter des antipathies nationales des Bulgares pour les détacher du siège patriarcal de Constantinople et leur faire reconnaître l’autorité papale. Une active propagande romaine remua les villages et les couvens du Balkan. Un hégoumène slave fut sacré patriarche des Bulgares-unis, mis en possession d’une liturgie slavonne ;