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la péninsule la fin de la domination musulmane. Cette compétition des deux nationalités rivales est en effet une bonne fortune pour les Turcs, c’est là pour le maintien de leur empire la meilleure chance de durée. La Porte, au lieu de se formaliser de la querelle de ses futurs héritiers, est intéressée à les maintenir divisés : pour cela, elle n’a du reste qu’à les laisser à eux-mêmes, tant les prétentions nationales des Grecs et des Slaves, appuyées des deux côtés sur l’antique possession du sol et sur des traditions séculaires, sont difficiles à concilier.

La répartition géographique des deux races est aujourd’hui assez bien connue; tous les voyageurs, toutes les cartes sont d’accord à ce sujet[1]. Les Grecs occupent en Macédoine et en Thrace le littoral et parfois les villes, les Bulgares l’intérieur des terres et les campagnes. Ce peuple tout continental et agricole ne touche la mer Egée qu’aux environs de Salonique, et n’atteint la Mer-Noire que sur un ou deux points vers le golfe de Bourgas au sud du Balkan. Partout ailleurs les Bulgares sont séparés de la mer par une barrière plus ou moins épaisse de population hellénique, çà et là mêlée d’élémens turcs. Cette singulière répartition augmente le contraste des deux populations ainsi juxtaposées. En dehors du littoral qui leur appartient presque partout, les Grecs habitent seuls, au sud de la Macédoine, la presqu’île palmée de la Chalcidique, qui, avec ses trois longs promontoires, dont l’un est dominé par le mont Athos, semble une sorte de Grèce ou de Péloponèse en raccourci. En Thrace, entre la Maritza, l’Hèbre des anciens et la Mer-Noire, d’Andrinople à Constantinople, tout autour de la mer de Marmara et des détroits, les Grecs forment encore aujourd’hui le gros de la population rurale et agricole, comme s’ils avaient été repoussés jadis dans cet angle extrême de la péninsule, longtemps tout le domaine de l’empire d’Orient. Ces Grecs de la Thrace, agglomérés en masses compactes dans la banlieue de Constantinople, ne sont malheureusement reliés au grand massif hellénique de la Thessalie et du royaume de Grèce que par un long et mince cordon littoral renflé à l’embouchure du Strouma vers la ville de Seres, le

  1. Voyez principalement l’ethnologie de la Turquie d’Europe par notre regretté compatriote Lejean, publiée dans les Mittheilungen de Petermann, Ergänzungsheft, 1861, et dans le même recueil, le XXIIe volume (1876), 7e livraison. C’est la carte ethnographique de Kiepert qui a, dit-on, servi de base aux études de la conférence. Les Bulgares acceptent d’ordinaire les résultats de ces travaux, les Grecs les récusent. Je dois dire qu’un professeur au lycée de Galata-Serai, M. A. Synvet, vient, à l’aide de renseignemens fournis par le patriarcat de Constantinople, de présenter les faits sous un jour plus favorable aux revendications grecques. Cette curieuse publication a pour titre : Carte ethnographique de la Turquie d’Europe et dénombrement de la population grecque dans l’empire ottoman, par A. Synvet, Paris, Lassailly, 1877.