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pour 25 millions de francs de céréales. Telle est la décadence de l’agriculture qu’avec sa faible population le royaume ne peut se nourrir lui-même.

Le côté brillant de la Grèce, c’est sa marine marchande; c’est là que se concentre presque toute l’activité du pays, de là que provient presque toute sa richesse. La Grèce a une flotte de 5,000 à 6,000 bateaux à voile jaugeant de 300,000 à 400,000 tonnes. C’est une marine égale à celle de la Russie, dont le territoire européen est cent fois plus vaste que celui de la Grèce, et bien supérieure à celle de tout l’empire ottoman, dont la plupart des navires sont du reste montés par des Grecs. Les Hellènes ont le droit d’être fiers de leur marine, qui porte près de 30,000 matelots; ils ne doivent pourtant pas se faire illusion sur son importance et la sécurité de son avenir. Personne ne construit des bateaux, personne ne navigue à meilleur marché que les Grecs; dans leur succès même, ils ont cependant un grand désavantage sur leurs concurrens. La plupart des produits que transportent leurs marins sont des produits étrangers; ils sont seulement les intermédiaires, les facteurs des autres nations, et à ce titre ils sont moins que leurs rivaux défendus contre les coups du protectionisme et les surtaxes de pavillon. Un autre danger, c’est le progrès de la navigation à vapeur, dont la supériorité empêche leurs petits bateaux de beaucoup dépasser l’enceinte de la Méditerranée et de profiter de l’ouverture du détroit artificiel de Suez. La prospérité même de leur cabotage n’est pas sans inconvénient pour l’avenir des Hellènes. La marine est à la fois le fort et le faible de l’hellénisme : elle est l’honneur et la richesse des Grecs, elle répand ou maintient leur nationalité et leur langue dans tout le bassin oriental de la Méditerranée; mais en même temps elle les attire ou les retient sur les côtes, leur faisant déserter la terre pour la mer, qui semble leur vraie patrie. Le goût de la marine et du commerce, dans les temps modernes comme dans l’antiquité, contribue à disperser la race grecque sur les plages de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique. L’hellénisme y perd en profondeur et en solidité ce qu’il y gagne en étendue; des races plus agricoles prennent à l’intérieur des terres la place laissée vide par les Grecs, qui, à force de se répandre sur toutes les côtes, ne possèdent plus en propre qu’un étroit domaine territorial. Nous verrons tout à l’heure que là est pour l’avenir le grand obstacle à la réunion de tous les Hellènes en un corps de nation.

Un peuple ne vit pas uniquement de la mer, et, bien que l’étroitesse et l’aridité de leur territoire montagneux aient entraîné les Grecs vers la navigation et le commerce, c’est vers le sol national, vers cette terre souvent âpre et rude, mais néanmoins susceptible de cultures variées, que devrait se tourner de préférence l’attention