la date, semble déjà un âge lointain, et le vieux palikare a parfois peine à se reconnaître et à ne pas se prendre pour un étranger dans la patrie qu’il a délivrée. Le pirate a disparu sans retour ; si le brigand a persisté longtemps, il est aujourd’hui refoulé aux frontières turques, qui lui ont toujours servi de base d’opération ou de refuge. Des villes toutes modernes, comme Athènes et Fatras, ont surgi de la solitude. La vie et le travail pacifique reparaissent peu à peu sur les côtes au moins de la presqu’île, sur la grande route maritime en particulier qui, malgré la barrière encore intacte de l’isthme, réunit par le golfe Saronique et le golfe de Corinthe l’Attique aux îles Ioniennes et doit un jour servir de voie centrale au royaume qu’elle coupe en deux[1].
J’ai été deux fois en Grèce, à quelques années de distance, la première fois en 1867, la seconde en 1873, et dans ce court intervalle j’y ai rencontré un remarquable changement. En 1867, c’était l’époque de l’insurrection de Crète, je voyageais de Corfou à Loutraki, au fond du golfe de Corinthe, en compagnie de patriotes hellènes sur un petit vapeur grec au nom fatidique, le Panhellenium, alors célèbre par ses récentes courses à Candie à travers les croisières turques. La Crète et la politique étrangère absorbaient tous les esprits; on n’avait d’intérêt et d’attention que pour les hauts faits d’armes des Sphakiotes. A l’intérieur du royaume les brigands régnaient partout en maîtres. La traversée de l’isthme de Corinthe ne se faisait pas sans inquiétude, en dépit des nombreuses patrouilles de gendarmerie établies sur la route pour protéger le passage des voitures qui conduisaient les voyageurs d’un golfe à l’autre. L’on ne pouvait guère alors voir de la Grèce que les côtes et la silhouette des belles montagnes qui du Parnasse et du Cythéron au Pentélique dominent ses golfes et ses îles. Le danger commençait dès que l’on descendait à terre ou mettait le pied en dehors des villes. On ne nous permit de faire une excursion dans le Péloponèse, de Nauplie à l’Acro-Corinthe par Argos et Mycènes, qu’en nous donnant, à mes trois compagnons et à moi, une escorte d’une vingtaine de soldats, et en limitant strictement notre itinéraire. Dans notre route à travers les campagnes désertes le long des ruisseaux bordés de lauriers-roses, quatre de nos hommes marchaient en avant pour explorer le chemin et autant en arrière pour nous assurer contre toute surprise; entre cette avant-garde et cette arrière-garde, nous allions à cheval, défendus sur nos flancs par une douzaine de soldats le fusil sur l’épaule, et pour plus de prudence cheminant à mi-côte pendant que nous suivions le fond de l’étroit vallon. Ces soldats grecs, pauvres et braves gens, se
- ↑ Sur les progrès de la Grèce, voyez l’étude de M. Emile Burnouf dans la Revue du 1er septembre 1875.