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ou par nécessité est toujours portée aux demi-mesures, n’a rien fait de plus incomplet, de plus manifestement provisoire. La Grèce était, vouée aux agitations stériles et aux révolutions impuissantes par sa constitution territoriale même. Les hommes les plus perspicaces l’ont senti dès le début. La taille étriquée et comme comprimée de la Grèce officielle lui rendit difficile le choix d’un souverain et fit repousser ses avances des prétendans les plus désirables. L’on sait les refus opposés par le prince Léopold, le futur roi des Belges, à toutes les offres des Hellènes et de la diplomatie ; pour accepter la couronne de Grèce, Léopold demandait que le cadre du nouveau royaume fût élargi, afin que la monarchie hellénique pût commencer à vivre dans des conditions plus normales[1]. Le prince de Saxe-Cobourg était mieux inspiré que le Bavarois Othon, qui osa tenter l’aventure et essaya d’implanter une monarchie sur un sol trop étroit pour lui laisser prendre racine. La petite Grèce de 1830, ne possédant plus une ville sur un territoire ruiné par une longue guerre, ayant à peine 700,000 habitans, et dans sa pauvreté accablée du poids de son grand nom, pouvait malaisément suffire aux charges d’un état moderne et aux besoins d’une monarchie. A côté de nos grands états militaires, un roi et une cour paraissaient une vaine et ridicule parodie dans ce petit pays de bergers où les seuls princes à leur place eussent semblé les rois du bon Homère.

La diplomatie avait fait au royaume et à la monarchie helléniques une tâche ingrate. La Grèce, à la fois resserrée dans d’étroites frontières et dévastée à l’intérieur, devait se consumer dans un double effort. Au lieu de s’appliquer uniquement à son développement pacifique, elle devait chercher à continuer, à compléter l’œuvre inachevée de l’indépendance nationale, et pendant longtemps encore moins songer à mettre son territoire en valeur qu’à l’étendre. La première chose, aux yeux de tous les patriotes comme aux yeux du prince Léopold, devait être de placer le nouvel état dans des conditions plus viables. Ainsi s’explique en partie, dans cette Grèce tronquée, la prédominance des préoccupations politiques, auxquelles l’inclinaient déjà le génie de la race et les traditions antiques. Comme il n’existait en Grèce aucune sorte d’aristocratie ou de classes dirigeantes, chaque Grec pouvait se croire appelé à mener les affaires du pays, et tous, étant animés d’une même ambition, s’en estimer également capables. De là dans cette petite démocratie, sur cette surface exiguë, à peine plus peuplée qu’un de nos grands départemens, cette sorte de manie ou de maladie politique qui a été le fléau du royaume. Tout le monde étant d’accord pour tout subordonner au but national, et les occasions d’y atteindre

  1. Voyez l’étude de M. Saint-René Taillandier dans la Revue du 1er mars 1876.