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« Ma fiancée, combien je t’aime et combien je te voudrais…

« Que dis-tu là, mon beau-frère, ô pauvre maître ? — Si tu m’aimes comme je t’aime, et si tu me veux comme je te veux, — tue ton frère pour m’épouser.

« Hélas ! quelle raison trouverai-je pour le tuer ?

« Dieu vous a donné des vignes et des champs, — mettez-vous à partager vos champs de vignes ; — donne-lui ceux du haut, et les plus épuisés, — et mets dans ton lot ceux qui sont bien situés et fertiles. »

« Alors il monte son cheval noir et arrive dans le champ.

« Eh, Constantin, il est temps, il est temps que nous partagions, — viens pour que nous divisions nos vignes. — Prends celles du haut et les plus épuisées ; — je mettrai dans mon lot celles qui sont bien situées et fertiles.

« Pourquoi, pourquoi, mon petit frère, pourquoi prendrais-je celles du haut ? — Si tu le veux, partageons ; mais partageons comme tout le monde.

« Prends celles du haut, Constantin, sinon, nous nous tuerons !

« A ta volonté, mon frère, et que tout soit à toi ! — Plutôt que de nous désunir, je te donne ma part.

« Alors la tristesse l’a pris, il a vu son injustice ; il se retire à l’écart et s’assied en pleurant… — Il monte son cheval noir et retourne au village. — Il a appelé sa fiancée, il appelle sa fiancée :

« Fiancée, holà, apporte-moi de l’eau que je lave mon épée — toute souillée de sang, du sang de mon frère.

« Et celle-ci dans son empressement, dans sa grande joie, — saisit vite la tasse qui était pleine de vin, — et elle descend l’escalier pour lui verser de l’eau.

« Oh ! il la prend par les cheveux et il la déchire !… »

C’est de cet inimitable cri du dernier vers que l’auteur a tiré son dénoûment, et, depuis le troisième acte, toute cette dernière partie est traitée de main de maître. Pleine de naturel et de passion, l’action ne se ralentit pas un instant ; les deux héros ne peuvent pas reporter sur la scène cette énergique concision du chant populaire, mais la situation ne perd pas à être développée. Galatée transformée convainc Rennos : elle use de toutes les forces de son amour pour le décider à tuer son frère ; elle lui montre à l’avance toutes les péripéties du drame et son plaidoyer rapide est brûlant, ses argumens sont puissants, irrésistibles : elle prévoit tout, elle excuse tout. Rennos hésite encore : « Oui, pardon, tu as raison, reprend-elle, renonce à mon amour, il est bien plus élevé que toi. Ne tourne pas tes regards vers moi, intrépide guerrier, mais tiens-toi blotti, dans une pose convenable ; le maître pourrait entrer. Comment, stigmatisé, tu as eu le courage d’approcher de ma robe traînante ! tremble alors, compagnon de Thésée ; pâlis de crainte, le maître