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laisser un certain nombre de lits vacans à l’époque où beaucoup de souscripteurs sont absens de Londres, tantôt d’encombrer les salles de malades atteints d’affections peu graves qui pourraient aussi avantageusement être soignés à domicile, mais que le comité des directeurs n’ose pas refuser, « crainte d’offense. » Aussi ce système est-il critiqué avec vigueur dans les rapports adressés au parlement, où il est traité de « mal sans compensation qui tend à réduire au minimum le bien que pourraient faire d’aussi vastes établissemens et une mise de fonds aussi considérable. »

Il faut aller plus loin et dire que ce système serait tout à fait inhumain, si la lettre de recommandation était l’indispensable condition des soins que la charité publique ou privée met à la disposition des classes pauvres. Heureusement il n’en est point tout à fait ainsi. Je ne parle pas seulement des admissions au traitement externe (put patient treatment) organisées dans toute la ville par l’entremise de dispensaires publics, et très libéralement accordées en outre dans la plupart des hôpitaux, trop libéralement même, puisque sur la porte de la salle de consultation on est obligé d’écrire en grosses lettres un avis rappelant que les pauvres seulement sont appelés à profiter de ce traitement ; mais je parle de l’asile qu’offrent en outre aux malades les infirmeries des workhouses. Tout le monde connaît le nom de ces institutions essentiellement anglaises, dont l’origine remonte au temps de la reine Elisabeth et la réorganisation à un acte de 1834 ; on ne sait pas aussi bien quelle est la complexité de leur destination. Le workhouse n’est pas seulement une maison de travail où l’on offre aux personnes qui se déclarent incapables de gagner leur vie un asile dont on s’efforce en même temps de les dégoûter par la grossièreté du régime et la rudesse du labeur ; c’est encore, et à la fois, un dépôt provisoire pour les enfans abandonnés, un asile pour les fous, une maison d’accouchement pour les femmes enceintes, un refuge pour les vieillards et les infirmes, enfin un asile pour les malades, tout cela réuni et presque confondu sous un même toit, avec une séparation illusoire entre les sexes, sous la surveillance souvent nominale d’un maître et d’une matrone. Ces institutions très décriées, non-seulement à l’étranger, mais en Angleterre, n’en rendent pas moins beaucoup de services, entre autres comme asiles pour la vieillesse. Lorsqu’on sait par expérience ce qu’il faut à Paris faire de démarches et attendre d’années pour obtenir l’admission d’un vieillard à Bicêtre, et combien pendant cette attente meurent sur un grabat, on se prend à envier la facilité avec laquelle les vieillards sont reçus en Angleterre dans les workhouses sur la seule constatation de leur indigence, et l’on se laisse aller à oublier que cette facilité même encourage chez les pareils l’imprévoyance et