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et meurent dans l’ignorance la plus complète. Maintenant vous rappellerai-je tout ce que nous avons fait pour les autres branches de l’instruction : nos deux écoles normales, notre institut d’enseignement secondaire, notre école d’agriculture, si bien organisée, notre académie des beaux-arts, si florissante, notre université libre, une des premières fondées de l’Espagne ? Un fait indiscutable, c’est que Vitoria, grâce à tant d’efforts, jouit d’une importance qui ne lui semblait pas réservée. Plus peut-être que Bilbao, la cité marchande, ou que Saint-Sébastien, la ville des baigneurs, elle est la véritable capitale intellectuelle des provinces basques ; on y parle, on y pense, on y écrit, on s’y intéresse, vous l’avez pu voir vous-même, aux choses de l’esprit ; les libéraux y sont presqu’en majorité, et pendant la guerre nos bataillons de volontaires ont fait brillamment leur devoir. Mais il ne s’agit point de cela : je ne vous ai rien dit de la Vizcaye ou du Guipuzcoa ; l’une et l’autre n’ont pas fait moins que nous pour l’instruction. Et c’est chez nous pourtant que les gens de Madrid veulent fonder des écoles, beaucoup d’écoles ! Et l’autre jour, en plein parlement, un orateur dont nul n’a contesté jamais les bonnes intentions et l’admirable éloquence, emporté sans doute par sa faconde oratoire, parlait bien haut de notre « misérable état intellectuel. » Pour le coup, je proteste, et tous nos hommes distingués avec moi : non, nos paysans ne sont pas des ignorans, au vrai sens du mot, ils sont simples de cœur seulement, ennemis de toute nouveauté, ardens et naïfs à la fois, par cela même faciles à égarer ; nous les connaissons bien, nous, les libéraux, qui plus que personne avons eu à souffrir de leurs préjugés et de leurs défauts. Baste ! qu’on nous laisse faire, et nous saurons bien les ramener, les éclairer, les convaincre. » Firmin Herran parlait avec cette chaleur qui fait naître la conviction. « La tâche est belle, mais le labeur est grand, interrompis-je au moment où nous mettions pied à terre près de la Plaza Nueva. — Notre bon vouloir et notre courage ne le sont pas moins, » me répondit-il simplement.

Cependant le terme de mon séjour en Alava était arrivé ; cette province en miniature n’a pas d’autre ville que Vitoria où le touriste, puisse s’arrêter ; d’ailleurs, plus que tout le reste, ce qui fait le charme et la curiosité du pays, c’est le caractère honnête et laborieux des habitans, leur amour de la terre, les ressources imprévues qu’ils tirent d’un sol assez ingrat par lui-même, la bonne administration qui ménage ces ressources ou ne les emploie qu’à des dépenses productives, et de tout cela, hommes ou choses, grâce aux exemples qu’on m’avait mis sous les yeux, j’emportais les renseignemens les plus complets et le meilleur souvenir. Je serre la main à mes amis, puis je monte sur la diligence qui part pour Izarra, petite station sur la ligne du chemin de fer de Tudela à Bilbao. La matinée est