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Vitoria, sur tous les murs des casernes et des édifices publics, s’étalaient de grandes affiches demandant des volontaires pour l’île de Cuba. Les conditions étaient réellement séduisantes : un franc de solde par jour, plus une gratification annuelle de 250 francs, sans préjudice de la haute paie et des autres avantages que le gouvernement particulier de la colonie accorde à ses défenseurs ; là-dessus 250 francs nets seraient touchés au lieu même de l’embarquement ; l’engagement pouvait être contracté pour trois ans ou pour la durée de la guerre. Malgré tout, les vieux soldats ne se présentèrent pas en foule, et je me suis laissé dire que le gouvernement, pour compléter le nombre de bataillons qu’il s’était fixé, dut prendre au hasard dans les nouvelles levées. Cependant le train où je montai pour me rendre de Pampelune à Tafalla emmenait entre autres deux wagons remplis de rengagés militaires. Pourquoi ceux-là partaient-ils ? Quel désir ou quel regret les poussait à prendre cette dure résolution ? la soif du gain, l’esprit d’aventure, l’absence d’une affection, d’un foyer ? Ces trois motifs réunis peut-être. Il y avait là des simples soldats, tous décorés à profusion, — car, soit dit en passant et sans tirer du fait la moindre conséquence, je ne sache pas que dans aucune autre armée on pousse plus loin l’abus des croix et des rubans, — puis quelques sous-officiers et même des carlistes, portant encore sur la tête le béret bleu ou rouge avec la plaque de cuivre ornée des trois mots fatidiques : Dios, patria y rey. Les ennemis de la veille fraternisaient, complètement oublieux des questions. politiques. N’allaient-ils pas affronter ensemble une autre guerre bien plus terrible ? ne partageraient-ils pas désormais la même vie, les mêmes périls ? Ils avaient arboré au-dessus d’un wagon une grande bannière sur laquelle était écrit : Voluntarios para Cuba ; tous riaient, chantaient, avec une gaîté plus expansée que ne l’est d’ordinaire celle des Espagnols ; on eût dit que les pauvres garçons cherchaient à s’étourdir. Quand on apercevait un village que le train traversait en sifflant, c’étaient des cris, des appels aux paysans répandus dans la campagne, les bras s’étendaient par les portières, on agitait la bannière aux couleurs nationales ; un ou deux clairons, qui allaient avec eux, allègrement sonnaient la charge ; mais en arrivant à Tafalla, où l’on devait s’arrêter près d’une heure, la scène changea. Un certain nombre de soldats licenciés venus par le même train étaient attendus là par leurs parens ou leurs amis ; toute cette foule, selon l’usage espagnol, se pressait, se bousculait sur les quais au bord de la voie. Bientôt commencèrent les reconnaissances, les effusions, les embrassades. En présence de cette joie sincère, la gaîté factice des volontaires, tomba tout à coup ; songeant à ce qu’ils laissaient derrière eux, la patrie, la famille, et, qui sait ? l’espoir du retour, on