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besoins du service appelaient vers la ville, mais librement, en camarade. Aussitôt mon arrivée dans la capitale de la province, je me hâtai d’aller rendre mes devoirs au général Quesada, commandant en chef de l’armée du nord : c’est à son empressement de bon goût que j’avais dû de ne point connaître, après les autres, la prison de Vitoria. J’ai eu plus tard, l’occasion de la visiter, cette fameuse prison : elle est réellement fort belle, spacieuse, aérée, commode, et mérite sa réputation. Bâtie selon les systèmes les plus nouveaux, elle est de forme circulaire ; elle ne comprend qu’un étage et se compose, en haut comme en bas, de trois galeries disposées en rayons et percées de cellules, qui convergent vers un même point. Du centre de l’édifice l’œil en embrasse toutes les parties ; pendant le jour les détenus, sortant de leurs cellules, causent, fument et se promènent dans le préau du bas sous la surveillance incessante de trois gardiens armés. En ce moment, ils étaient près d’une centaine, neuf parmi eux avaient les fers aux pieds, des fers très lourds qu’ils traînaient à grand bruit : ceux-là étaient les hommes dangereux, les assassins ; un surtout, robuste, les bras velus, coiffé d’un béret rouge, me frappa par son air bestial ; enrôlé dans une bande, il avait, m’assure-t-on, fait la guerre pour son propre compte et commis des atrocités. Pour dire vrai, quand je vis les compagnons d’infortune que le hasard m’avait un moment destinés, je ne songeai plus à me plaindre, et tout bas je me félicitai de n’avoir eu à partager avec personne mon cachot infect de Peñacerrada !


II

Vitoria porte dignement son nom sonore et fier : ses rues nouvelles percées au cordeau, ses maisons blanches, ses miradores ou balcons vitrés comme autant de cages de verre, ses places, ses jardins, entretenus avec un soin dont Madrid même pourrait être jaloux, la mettent au rang des plus charmantes cités de l’Espagne. Les monumens publics y sont nombreux, comme il convient à une capitale : c’est d’abord le palais de la députation provinciale, édifice gréco-romain, d’un style un peu lourd, mais dont j’aurais mauvaise grâce à contester le mérite architectural, tant les Alavais paraissent l’avoir en vénération : en bas est la salle des réunions, où les cinquante-six députés des communes, élus chacun selon des procédés différens, discutent et décident en commun des affaires de la province ; en haut se conserve dans les archives l’exemplaire original des fueros ou privilèges d’Alava ; c’est encore, outre la prison, le théâtre, fort bien installé, l’hôpital, merveilleusement tenu, enfin cet admirable hospice des enfans trouvés qui n’a pas son équivalent chez nous. La maison, secourue simultanément par l’argent