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enfoncent dans le fumier ; dans un coin, pour tous meubles, un lit de camp aux planches pourries, et par-dessus, pourrie également, réduite en bribes, empestée, un tas de paille de maïs qui s’étale et déborde de tous côtés. Désormais je pourrai dire sans métaphore que j’ai connu la paille humide des cachots.

Après mûr examen, comme il me répugnait de m’asseoir dans toute cette ordure, je pris le parti de rester debout ; alors, par désœuvrement, un peu aussi par curiosité, l’idée me vint d’examiner les inscriptions et les dessins dont, selon l’usage, mes prédécesseurs avaient illustré les murs de l’endroit. Autant que je pus comprendre, à l’occasion de la guerre carliste il avait dû servir tour à tour aux prisonniers des deux partis. Tout d’abord, près de l’entrée, une inscription en grosses lettres, à l’orthographe indépendante, attire le regard : elle raconte mélancoliquement l’histoire de deux pauvres diables, deux libéraux, qui restèrent dix-neuf mois au pouvoir de leurs ennemis : tout le jour ils travaillaient dans les mines des environs, le soir on les enfermait dans ce bouge ; si j’en juge par moi-même, ils ont dû trouver le temps long ! Sur un autre mur, à droite, est le portrait en pied de don Carlos, fort ressemblant ma foi, et largement traité aux deux crayons, plâtre et charbon : c’est l’œuvre, à n’en pas douter, de quelque carliste convaincu, car il a pour exergue ces mots tracés d’une main ferme : Viva Carlos septimo el rey ; le duc de Madrid porte l’uniforme qu’il avait à la tête de ses troupes, le poing droit fièrement campé sur la hanche, l’autre main au pommeau du sabre, grandes bottes et béret à gland. Que de portraits officiels ne valent point celui-là ! D’autres carlistes ont écrit sous leur nom le bataillon et la compagnie auxquels ils appartenaient ; puis Viennent des pensées, des exclamations, qui ne sont d’aucun parti, mais qui n’en semblent pas moins sincères : « cette prison est pire que l’enfer, » — des vers, des injures aussi, des ordures, tout ce que la colère et l’ennui peuvent inspirer à des hommes privés de liberté.

Quoi qu’il en soit, j’eus bien vite épuisé ce genre de distraction, car le cachot n’était pas grand ; à moins de graver moi-même mon nom sur les murs, qu’allais-je faire pour tuer le temps ? Les heures s’écoulaient avec une lenteur désespérante, je me sentais pénétré de froid jusqu’aux os ; de plus l’obligation de passer la nuit dans des conditions semblables ne contribuait pas peu à assombrir mes idées. Je profitai d’un moment où le savetier, mon gardien, venait curieusement glisser un coup d’œil par le guichet de la porte, et, du plus poliment qu’il me fut possible, je le priai de transmettre mes réclamations à qui de droit. Les seules autorités de la ville étaient alors le maire ou alcade et un sergent de la garde civile. Tous deux, fort obligeamment, se rendirent auprès de moi ; mais l’alcade, on le