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ce sujet, tandis que la jeune fille, inattentive au chuchotement de cette discussion, plaquait rêveusement des accords mélancoliques sur des lambeaux de mélodies en mineur.

— Je pense, dit le comte irlandais, que c’est une vocation religieuse qui se dessine. J’ai eu jadis une de mes filles dans cet état bienheureux. Cela commence par des distractions qui sont comme les prémices de prochaines extases.

— Peuh ! dit le baron, il ne faut pas s’imaginer ainsi tout de suite des choses extrêmes. Moi, je tiens pour une bouderie, un caprice. Ces enfans ont une tête !

— Mon cher ami, objecta la marquise, Marguerite n’a jamais été ni capricieuse, ni boudeuse. Puis vous oubliez qu’elle n’est plus une enfant. C’est une femme.

— Eh ! eh ! insinua le chanoine, voilà justement ce qu’elle a.

— Mon frère, interrompit assez brusquement Mlle Adelphine, je crois, sauf le respect que je vous dois, que vous allez dire une sottise.

— Du tout, du tout, reprit le prêtre, je dis une vérité. La cause d’un pareil changement, c’est l’amour.

Il n’y eut qu’une voix pour faire observer que Marguerite ne voyait absolument personne.

— Bon, continua le prêtre, je ne prétends pas dire qu’elle aime quelqu’un ; elle pense à l’amour, voilà tout. Je connais ces premiers éveils du sentiment dans le cœur des jeunes filles pures. Le confessionnal m’a appris bien des choses que vous pouvez ignorer. Ce qu’éprouve Mlle Marguerite, c’est ce vague désir dont parle saint Augustin quand il dit : Je n’aimais pas encore, mais j’aimais à aimer.

On tomba d’accord pour reconnaître que l’idée du chanoine avait tout l’air d’être la bonne, et on partit de là pour parler de mariage. Chacun voulant dire son mot, il y eut à ce moment un choc de voix qui réveilla Marguerite de sa rêverie. Elle revint à elle juste à point pour entendre ce bout de discussion entre le chanoine et la marquise :

— Ma foi, maintenant que votre fils a son avenir assuré, pourquoi ne pas marier Mlle Marguerite ?

— Vous n’y songez pas, l’abbé. Une fille sans dot, par le temps qui court !

— Eh bien ! moi, je connais quelqu’un qui ne demande qu’à l’épouser, cette fille sans dot. Ici on s’aperçut que le jeu de Marguerite s’était ralenti et qu’elle pouvait entendre. On baissa subitement la voix et elle ne distingua plus rien, sinon que la marquise faisait des gestes très catégoriques de refus presque indigné.

Marguerite était très franche et avoua le soir même à sa mère qu’elle avait involontairement saisi un fragment de la conversation. Elle demanda en même temps, sans fausse réticence, avec une