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à quel point ce genre de faste était déjà devenu une sorte de passion, de célébrer plusieurs fois les obsèques de la même personne : cela se faisait en effet assez souvent pour peu qu’on eût pris la précaution de conserver un des membres ou même un des doigts du défunt. Nulle autre société qu’une société aristocratique avec grandeur n’aurait pu donner de pareils spectacles dans ses funérailles, faites pour imprimer l’idée de l’importance des grandes races. Il semble que l’on assiste à une sorte de drame funéraire imposant et magnifique, depuis le moment où le mort est exposé sur le lit enrichi d’ivoire, couvert de sa toge de pourpre et de ses plus riches vêtemens, le visage recomposé pour ainsi dire par de savantes préparations, jusqu’au moment suprême qui met un terme à ces solennités funèbres. Toute une population y est associée, comme le chœur est associé à la pièce dans la tragédie antique. L’imagination reste frappée à la pensée de ces cortèges à travers la ville, escortés par une foule immense, éclairés en plein jour par une quantité innombrable de flambeaux de cire et de torches allumées, de ces images d’ancêtres habillées en consuls, en préteurs, en pontifes, etc., de ces trompettes remplissant l’air de sons lugubres, des danses exécutées par des chœurs de satyres, de ces femmes, les joues baignées de larmes, les vêtemens en désordre, poussant des lamentations, enfin de cette famille, de ces cliens, de ces affranchis, de ces esclaves, de ces amis du mort, formant la marche lugubre, qui s’arrête de temps en temps pour laisser retentir avec plus d’ensemble et d’effet la musique des instrumens et les chants funèbres. Malgré les lois qui ordonnaient qu’on ne portât qu’un seul lit aux funérailles, il y en eut six cents aux obsèques de Marcellus, et à celles de Sylla il y en avait six mille ! Les scènes du bûcher formaient comme un nouvel acte de ce drame pathétique. Devant cet édifice immense, construit avec un art savant, tout ce qui attestait le désir d’agréer au mort se donne carrière sous toutes les formes, parfums, dons, immolation d’animaux, combats de gladiateurs, sans parler, pour les empereurs ou de ceux que leur faveur désignait pour cet honneur, de toutes les célébrations pompeuses qui accompagnent les apothéoses.

Le faste funéraire était provoqué à Rome par l’emplacement même des tombeaux qui semblent tout faire pour appeler les regards. Rien de moins recueilli, de plus opposé à l’idée que nous nous faisons d’un lieu consacré par la mort. Les morts posent devant les vivans. Ils gardent tout leur orgueil au fond de ces tombeaux qui forment comme une exposition permanente sur les voies Appienne, Flaminienne et Latine. Sans doute tout ne fut pas vanité et mensonge dans ces libations et dans ces présens faits aux mânes, non plus que dans les ornemens des tombeaux ; mais rien ne donne l’idée