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croyance populaire au Thibet a dès longtemps attribué l’immortalité au grand-lama, une immortalité en quelque sorte divine, comme celle qui était réservée aux césars. On dépose leurs corps dans de riches cercueils qu’on place dans des chapelles funéraires de la plus grande magnificence et toujours ouvertes au public, admis à y faire des prières et des génuflexions. Les grands et les saints ont aussi depuis longtemps un mode particulier de sépulture. On brûle leurs corps, et leurs cendres, soigneusement recueillies, sont renfermées dans l’intérieur de petites statues de cuivre doré, que l’on peut voir par milliers disposées avec ordre sur des gradins qui s’élèvent le long des murs de vastes galeries.


II

C’est dans le groupe des nations dites classiques qu’on voit le faste funéraire prendre ces formes nettes, déterminées, saisissantes, qui lui donnent un relief véritablement historique. Rien sous ce rapport ne peut être mis au-dessus de l’Égypte, qui joue au milieu des nations antiques le rôle d’une grande nécropole, qu’elle semble s’être volontairement attribué. C’est en effet une remarque déjà faite par Diodore, que l’Égypte construisait solidement pour les morts, dont la demeure est éternelle, et avec fragilité pour les vivans, qui n’occupent que des habitations passagères. Bien que l’étude du faste funéraire des autres peuples ôte à l’Égypte ce caractère d’exception qui a paru tant frapper les historiens, bien que le fonds d’idées qu’elle nous présente ne nous paraisse plus si absolument original, toute comparaison faite avec les autres groupes de populations met tellement ce faste en saillie qu’elle mérite à cet égard la renommée qui lui est faite. Étrange peuple que celui-là, que la passion de la mort semble avoir saisi tout entier ! D’où lui peut-elle venir ? Pourquoi la met-il de toutes ses fêtes ? Pourquoi lui réserve-t-il ce qu’il a de meilleur et de plus beau ? Pourquoi ne songe-t-il qu’à la parer, à la loger magnifiquement, et, comme l’amant le plus épris, à faire pour elle les plus fastueuses folies ? C’est qu’il lui prête en quelque sorte plus de réalité qu’à la vie elle-même, ou plutôt, par tous ces efforts mêmes consacrés à l’honorer, il semble démontrer qu’il n’y croit pas, car il serait absurde que le néant devînt l’objet d’un culte si ardent et si permanent. Mourir, c’est vivre ; voilà le fond de la pensée religieuse de l’Égypte. Mais vivre comment et où ? C’est la question qui obsède l’imagination de ces populations, et qu’elles résolvent, non par un doute inquiet, mais par une affirmation qui n’hésite pas. Parmi toutes les révélations que les tombeaux de ce peuple nous