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Au lieu de s’en tenir à la méthode expérimentale, au lieu de chercher la veine d’intérêt dans l’observation pure et simple, Mme de Hillern a cru aviver et peut-être aussi relever l’action, en faisant intervenir sans nécessité la foi en face de la science. Certes, la lutte de ces deux principes peut fournir, à l’occasion, de puissans ressorts dramatiques ; mais ici ce n’est nullement le cas. Tout au plus l’auteur arrive-t-il à épandre sur son récit je ne sais quelle vague religiosité, une nébuleuse traînée de déisme qui se résout en une petite pluie de dissertations non moins innocentes qu’oiseuses. Il a plu à Mme de Hillern de faire de Leuthold un libre penseur, mieux encore, un athée ; c’est fort bien, et l’athéisme de ce Leuthold tient, en mainte occasion, un langage tout à fait logique et irréfutable ; ce qui n’est ni logique ni irréfutable, c’est que l’auteur, pour les besoins d’une thèse préconçue, impute à cet état intellectuel de son personnage toutes les vilenies qu’il commet. Si Leuthold est criminel et haïssable, n’est-ce pas uniquement parce qu’il est cupide, sans entrailles, et qu’il a recours à de condamnables pratiques pour esquiver les difficultés de sa situation ? Supposons pour un instant que ce même Leuthold, dix fois athée, si l’on veut, ne fût qu’un savant méconnu, ou un homme qui, de guerre lasse, eût tourné le dos à l’ambition et à la gloire, pour se confiner dans la solitude avec sa pupille et se dévouer tout entier à l’éducation de celle-ci : en quoi, pour Ernestine, les résultats eussent-ils différé ? Ses facultés en eussent-elles reçu un développement plus normal et plus harmonique ? Un pli de son existence en eût-il été dérangé ? Non certes ; dans ce cas pourtant, l’oncle Leuthold, au lieu d’offrir un type odieux, eût été une figure touchante, et, en dépit des aberrations de son système, il n’en eût pas moins incarné la notion du devoir et du sacrifice. Je reviens maintenant au récit.

Le tuteur, on l’a vu, avait ressaisi sa pupille ; mais il sentait que désormais il ne la tenait plus qu’à demi ; cet impérieux ascendant qu’il avait jusqu’alors exercé sur elle s’était brisé. « Mon oncle, lui avait-elle dit aux premiers mots de reproche qu’il avait essayé de lui faire au sujet de son évasion, je vous prie de ne me plus tenir pour un enfant qu’on morigène à sa fantaisie. S’il me plaisait de retourner dans ce monde que je viens d’apprendre à connaître, ce n’est pas vous qui m’en empêcheriez. Ce droit, vous ne l’avez pas de par la loi ; mais je n’y retournerai point, non, jamais. Le monde n’est pas fait pour moi, pas plus que je ne suis faite pour lui. Peut-être la faute en est-elle à vous, qui m’avez élevée en recluse et séquestrée de tous mes semblables ; peut-être eût-il mieux valu que j’eusse suivi, simple d’esprit, le vulgaire sentier de la vie. Puisqu’il n’en a pas été ainsi, c’est vous qui aurez à répondre de votre