disparition, Mme Möllner envoie à sa recherche son fils Jean, beau jeune homme d’une vingtaine d’années, qui vient de passer le matin même, de la façon la plus brillante, ses examens de doctorat. Jean rattrape l’enfant, toute pantelante, au milieu du bois, et se met en devoir de la ramener auprès de sa mère ; mais Ernestine résiste ; elle se dégage des mains de ce nouveau persécuteur et grimpe comme un écureuil à un chêne. Jean, qui n’en veut démordre, escalade le tronc à son tour. La fillette bat en retraite de branche en branche, et finit par se réfugier, sans autre souci du péril, au bout le plus extrême d’un rameau. Celui-ci casse sous le poids, et Möllner n’a que le temps d’allonger le bras pour saisir l’enfant avant qu’elle tombe ; cette scène nocturne est pleine de vivacité et de poésie ; on devine que tout le charme est dans les détails, dans les impressions des personnages, que nulle analyse ne saurait rendre.
Disons tout de suite que ce prologue du roman en est avec la fin la partie la plus vivante et la mieux venue, et cela tient précisément à ce qu’on n’y voit pas surnager la thèse. L’existence d’Ernestine au milieu des tristes bâtimens de la distillerie, entre un père ivrogne, paralytique, et un oncle froid et retors qui exerce sur elle comme sur tout le monde une domination absolue, est dépeinte avec une très grande vérité de traits et de couleurs. Le personnage de l’oncle Leuthold est particulièrement réussi. Ce Leuthold avait commencé par être professeur de chimie à Marburg ; mais, s’étant approprié par un odieux larcin une découverte scientifique d’un de ses collègues, il avait dû quitter l’université. Il s’était alors marié avec la fille d’un aubergiste et avait pris la direction de la fabrique de son beau-frère. Là, tant par persuasion que par menaces, il avait extorqué au vieux Hartwich un testament bien en règle qui lui assurait dans l’avenir la possession de toute la fortune au détriment de sa nièce. Au physique, Leuthold est distinction pure : front serein, doux parler, manières souples et insinuantes, un de ces hommes reptiles tels que chacun de nous en a rencontré ; au demeurant, nature très complexe et quelque peu contradictoire. Toutes ses vilenies, à y bien regarder, procèdent d’un mobile unique, l’amour de la science ; son ambition est de devenir un chimiste hors ligne et un physicien sans rival ; seulement il n’a point le temps d’attendre ; pour s’élever dans sa sphère, il lui faut d’emblée et coûte que coûte ce hausse-pied qu’on appelle l’argent. « Là où l’argent et l’intelligence sont réunis, dit-il à sa femme Berthe, robuste et triviale ménagère qui n’entend rien à ses visées de savant, on prend les hommes comme des mouches à la glu. » Et tandis que le bonhomme Hartwich, frappé d’une dernière attaque d’apoplexie, agonise misérablement dans une chambre voisine, Leuthold et sa