si durement des insultes de Wally, c’est qu’Afra est sa sœur naturelle ; le respect dû à la mémoire de leur mère les avait contraints l’un et l’autre à garder le silence sur cette parenté. Telles sont les révélations que Joseph lui-même fait à Wally, dès que ses forces lui ont permis de grimper au Murzoll ; il ajoute que, dans cette nuit fatale où il avait été assailli par Vincent, c’était le remords de son odieuse conduite à la salle de danse qui l’avait poussé à rôder vers la Sonneplatte ; il voulait, dès l’aurore, frapper à la fenêtre de la jeune fille, faire à celle-ci amende honorable et lui prodiguer ses tardives tendresses de fiancé. À ces aveux, Wally ne répond que par une explosion d’amer désespoir ; Joseph la croit folle, il ne sait pas que c’est elle-même qui a convié Vincent au meurtre ; en apprenant de sa bouche l’affreuse vérité, il recule d’abord de terreur ; mais lorsqu’elle ajoute qu’en cette nuit sinistre elle est sortie, elle aussi, sous le double aiguillon de l’amour et du remords pour empêcher, s’il était possible, l’accomplissement du forfait, lorsqu’elle lui retrace les longs tourmens qu’elle a endurés à cause de lui, la surprise douloureuse du chasseur se fond dans une décisive expansion de tendresse et de reconnaissance ; en la femme jalouse et offensée qui a voulu le faire périr, il ne voit plus que l’amante héroïque qui l’a sauvé ; il la relève doucement et place, en signe de pardon, son bras sur le sien.
« La nuit était tombée ; du haut du ciel une figure souriante contemplait affectueusement les fiancés ; c’était le disque de la pleine lune qui avait émergé sur la montagne. Déjà les ombres du soir s’étaient épandues dans les vallées ; il était trop tard ce jour-là pour redescendre du Hochjoch. Ils rentrèrent dans la hutte, allumèrent du feu et s’assirent au coin du foyer. Quelle douce causerie après un silence de tant d’années ! Sur le toit, le vautour rêvait qu’il se bâtissait un nid ; le vent résonnait autour de la cabane comme une harmonie de harpes nuptiales, et à travers la lucarne pénétrait le scintillement d’une étoile. » N’ai-je pas déjà dit que l’églogue avait parfois couleur d’épopée ?
De la Geier-Wally au Médecin de l’âme, il y a, au point de vue de l’art et du genre, tout un abîme à franchir. Le pittoresque récit dont on vient de prendre une idée est sans nulle apparence de thèse ; un Médecin de l’âme au contraire est ce qu’on nomme un roman didactique et démonstratif ; l’action s’y complique d’une controverse, le drame y est gros d’une moralité. Si, dans une œuvre de cette nature, la conclusion coule de source, si la dispute des idées est conduite avec une entière impartialité, si rien n’y est