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« Tandis que la jeune fille, avant de s’enfoncer dans le désert par dela les nuages, considérait immobile les dernières habitations de l’homme, la cloche de l’église de vent se mit, sous ses pieds, à sonner matines. Le petit presbytère, à la fenêtre duquel des œillets en boutons frissonnaient au vent, ouvrit sa porte ; le chapelain en sortit, et, les mains jointes, s’en alla vers l’église remplir les devoirs de son ministère. A droite et à gauche, les chaumières de bois entr’ouvrirent leurs yeux assoupis ; des formes humaines apparurent les unes après les autres, et toutes, s’étirant les membres, se dirigèrent successivement vers le temple.

« Au travers du crépuscule, la pieuse sonnerie, portée par le vent comme sur des ailes d’anges, arrivait tout entière sur la montagne sans qu’une seule note se perdît : Wally s’imaginait ouïr une voix d’enfant qui prie. Et de même aussi qu’un enfant éveille sa mère par son frais babil, le carillon de vent parut avoir éveillé le soleil. L’astre ouvrit son grand œil, et le rayon de son premier regard lança par-dessus la chaîne des montagnes une immense gerbe de lumière qui couronna les cimes au levant. Les épaisses teintes grises de l’aube se changèrent soudain en un azur transparent dont la clarté grandissante inonda de plus en plus les cieux de ses jaillissemens ; puis le soleil émergea dans toute sa magnificence au-dessus des crêtes nuageuses, en tournant avec amour sa face enflammée vers la terre. Les monts dépouillèrent leur manteau de brumes et se baignèrent à nu dans des flots de lumière. En même temps, les profondeurs des gorges s’emplirent de houleux ondoiemens, comme si tous les nuages, chassés du firmament purifié, s’y étaient soudain laissé choir. Les airs tressaillirent d’un hymne étrange de jubilation, et la terre, en s’éveillant, parut pleurer de joie. On eût dit d’une fiancée, au matin de sa nuit d’hymen ; pareilles à des larmes aux cils de l’épouse, les gouttelettes de rosée pendaient voluptueusement et en tremblotant aux brins d’herbe et aux buissons. C’était par toute la campagne l’image de la joie : en haut sur les montagnes, où les rayons éblouissans se reflétaient dans l’œil perçant du chamois, en bas dans la vallée, où l’alouette gazouillante s’envolait du sein des terres labourées.

« Wally contemplait avec ivresse ce réveil de la nature ; son œil était à peine assez grand pour contenir cet immense tableau des pures splendeurs aurorales. Le vautour, perché sur l’épaule de la jeune fille, agitait ses larges ailes comme pour saluer le soleil avec amour. Et pendant ce temps, au-dessous d’elle, le village de vent s’animait. Dans cette vive illumination du jour renaissant, Wally pouvait tout discerner : près de la fontaine, les garçons embrassaient les fillettes ; un blanc tourbillon de fumée ondoyait au-dessus des maisons et se perdait, sans laisser de traces, dans la