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vérité, si l’on y voyait surtout l’élan d’une nature généreuse, l’inquiétude d’une belle âme qui voudrait bien se tromper, et qui appelle une réfutation ? N’est-ce pas pour cela précisément qu’il s’adresse à celui de ses frères qui, par son âge, par sa réserve, est le mieux en mesure de le rectifier, s’il y a lieu ? voilà, pour le dire en passant, ce que valent ces prétendues révélations, ces pages publiées brusquement, perfidement, et qui, détachées des circonstances où elles furent écrites, perdent leur véritable sens. Il faut donc rejeter au nom de l’histoire impartiale toute cette partie de la polémique de Stockmar, polémique si amère, si injuste, et envenimée encore par son fils ; mais, s’il y a dans une autre partie de cette discussion des idées que la raison confirme et qui renferment de hautes leçons, la même impartialité nous fait un devoir de les recueillir. Fas est et ab hoste doceri.

De tous les discours qui furent prononcés sur ce sujet dans la chambre des pairs et la chambre des députés, l’un des plus beaux assurément est celui de M. le duc de Broglie. C’est un discours très français, comme toutes les œuvres de ce grand esprit, et qui résume les mille détails de l’affaire dans une pensée maîtresse. Cette pensée, ce n’est pas l’intérêt de famille qui a pu réjouir le roi Louis-Philippe, si respectable que soit un tel sentiment, c’est l’intérêt de la France menacée en Espagne par la politique anglaise. La vigilance du gouvernement, disait hardiment M. le duc de Broglie, a déjoué les desseins de lord Palmerston, qui voulait faire de l’Espagne l’annexe et l’extension du Portugal. Et quant aux périls d’un autre genre que pouvait amener cette victoire, il répondait avec un bon sens supérieur : « Nous sommes isolés, dit-on ; mais l’isolement, c’est la situation naturelle de toutes les puissances en temps de paix générale. L’alliance, l’entente cordiale, l’intimité, de quelque nom qu’on veuille l’appeler, c’est une situation exceptionnelle, c’est une situation qui a ses hauts et ses bas, qui a ses bons et ses mauvais momens. Il faut savoir profiter des bons et supporter les mauvais. On dit que l’isolement peut entraîner certains dangers. Je ne dis pas non ; mais qu’y faire ? Les choses sont ce qu’elles sont[1]… » Rien de plus sage, les choses sont ce qu’elles sont. Si l’on se rend compte de ce que renferme ce mot, on y trouve la philosophie même de la politique, la politique n’étant que l’art de démêler ce que sont les choses et de se conduire en conséquence. Seulement il faut aller jusqu’au bout de cette pensée ; après avoir dit : les choses sont ce qu’elles sont, il faut tâcher de savoir ce qu’elles commandent. Le grand tort de M. Guizot, au lendemain des

  1. C’est à la chambre des pairs, dans la séance du 19 janvier 1847, que M. le duc de Broglie a prononcé cet éloquent discours. On discutait le troisième paragraphe de l’adresse relatif aux mariages espagnols.