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non pas qu’il eût pour nous la moindre sympathie, mais il pensait à la Belgique, il s’inquiétait pour son maître et ami, le roi Léopold, il craignait enfin que la monarchie de 1831, privée de l’appui de la France, ne fût ou très ébranlée, ou entraînée vers des alliances funestes. C’est ainsi que la révolution de 1848 lui inspirait des regrets amers, regrets d’égoïsme, nullement de sympathie et d’humanité. Qu’allait donc devenir la France ? et quels seraient par suite les dangers de la royauté belge ? Pendant qu’il sonde l’avenir, le passé lui apparaît sous des couleurs plus vives, et il maudit cette journée du 24 février qui a soulevé tant de problèmes sinistres. Journée désastreuse et qu’il était, selon lui, si facile d’éviter ! En même temps qu’il la maudit, il en proclame la signification, et, appliquant cette doctrine que l’histoire du monde est le jugement du monde, il y voit un grand acte de la justice de l’histoire. À l’entendre, le gouvernement de Louis-Philippe a expié ce jour-là la conduite qu’il a tenue dans l’affaire des mariages espagnols. Telle est, au milieu de ses appréhensions pour l’avenir, la persistance implacable de ses rancunes.

Laissons de côté dans les pages de Stockmar tout ce qui appartient à cette mauvaise inspiration du ressentiment ; on ne discute pas avec des passions. Que le conseiller de la reine Victoria use et abuse d’une lettre adressée par le prince de Joinville au duc de Nemours, le 7 novembre 1847, et publiée cinq mois après dans la Revue rétrospective, c’est son droit, je le reconnais ; n’aurait-il pas dû se demander pourtant si cette lettre, écrite dans une heure d’amertume et envoyée confidentiellement à un frère, était bien l’expression vraie, l’expression réfléchie et définitive du noble esprit qui l’a tracée ? Le 7 novembre 1847, le prince de Joinville est à bord du Souverain, dans la station navale de la Spezzia. Il vient d’apprendre le suicide du comte Bresson, qui était passé de l’ambassade de Madrid à l’ambassade de Naples. Il ignore, comme tous l’ignoraient encore à cette date, les véritables causes de ce tragique événement. Il le rattache à l’affaire des mariages espagnols et à la situation générale. Le peu de sympathie qu’il éprouve pour la politique de M. Guizot le dispose à tout blâmer dans la campagne de l’année précédente. Comme il vit à l’étranger, qu’il recueille les propos de l’étranger et que les colères de l’opinion anglaise ont des échos partout, il affirme que cette campagne nous a revêtus d’une déplorable réputation de mauvaise foi. Il ajoute : Ces malheureux mariages espagnols ! nous n’avons pas encore épuisé le réservoir d’amertume qu’ils contiennent. Et plus loin, dans le post-scriptum, indiquant par là que cette pensée ne le quitte pas, il jette ce dernier cri : Les mariages espagnols sont mon cauchemar. Est-il bien sûr encore une fois que ce soit là un jugement définitif ? Et serait-on loin de la