Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le moyen, la reine Victoria l’a indiqué dans une lettre à la reine des Belges, lorsqu’elle écrit ces mots : « Si le roi avait des doutes sur nos sentimens, pourquoi n’a-t-il pas cherché à éclaircir la situation, au lieu d’agir comme il a fait ? A quoi bon parler d’entente cordiale si, en cas de besoin, on ne devait pas s’entendre préalablement et cordialement[1] ? » À ce reproche, il n’y a rien à répondre ; écrire seulement après l’affaire conclue, c’était beaucoup trop tard. Louis-Philippe l’a bien senti. Aussi, quand la reine Victoria eut adressé à la reine Marie-Amélie la lettre amère que nous venons de reproduire, il considéra comme un devoir de se justifier auprès d’elle. Sa fille, la reine des Belges, était un intermédiaire tout naturellement indiqué. Il écrivit donc à la reine des Belges la justification qu’il voulait faire mettre sous les yeux de la reine d’Angleterre. La lettre est longue, cordiale, pleine de souplesse et de bonhomie royale, elle contient un récit exact et détaillé des faits ; mais, il faut bien le reconnaître, quelle qu’en soit la sincérité, elle n’échappe pas au reproche exprimé plus tard par la reine Victoria, reproche si naturel et qui domine toute la question : « À quoi bon parler d’entente cordiale si, en cas de besoin, on ne devait pas s’entendre préalablement et cordialement ? » Cette lettre de Louis-Philippe à la reine des Belges n’est pas mentionnée dans les Mémoires de M. Guizot ; M. Ernest de Stockmar s’y réfère sans cesse dans sa discussion sur les mariages espagnols. En voici le commencement :


« Neuilly, 14 septembre 1846.


« Ma chère bonne Louise,

« La reine vient de recevoir une lettre, ou plutôt une réponse de la reine Victoria à celle que tu sais qu’elle lui avait écrite, et cette réponse m’a fait une vive peine. Je suis porté à croire que notre bonne petite reine a eu presque autant de chagrin à écrire cette lettre que moi à la lire. Mais enfin elle ne voit maintenant les choses que par la lunette de lord Palmerston, et cette lunette les fausse et les dénature trop souvent. C’est tout simple ; la grande différence entre la lunette de lord Aberdeen et celle de lord Palmerston provient de la différence de leur nature : lord Aberdeen aimait à être bien avec ses amis ; lord Palmerston, je le crains, aime à se quereller avec eux. C’est là, ma chère Louise, ce qui causait mes alarmes sur le maintien de notre entente cordiale, lorsque lord Palmerston a repris la direction du foreign office. Notre bonne reine Victoria repoussait ces alarmes, et m’assurait qu’il n’y aurait de changé que les hommes. Mais ma vieille expérience me faisait

  1. Nous n’avons pas toute la lettre de la reine Victoria ; Stockmar en donne seulement ces deux phrases. La dernière, celle qui est imprimée en italique, est citée en français dans son texte.