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Surtout pas de zèle ! voilà une des circonstances où l’on comprend bien le mot de M. de Talleyrand. Le zèle de sir Henry Bulwer a compromis l’Angleterre comme le zèle du comte Bresson a compromis la France. Il importe peu de savoir lequel des deux a commencé ; tous deux ont été aussi vifs, aussi excités, aussi ardens à la lutte, tous deux ont mérité, à une certaine heure, le désaveu de leurs gouvernemens. Si lord Aberdeen, dans sa haute loyauté, a blâmé Bulwer et prévenu M. Guizot de l’intrigue qui se préparait, Louis-Philippe a été sur le point de désavouer le comte Bresson et n’en a été empêché que par les instances de M. Guizot.

Un homme bien plus coupable, parce qu’il occupait un rang bien plus élevé, ce fut lord Palmerston. Les deux agens de France et d’Angleterre ont péché par entraînement, lord Palmerston a mal agi par un sentiment de haine qu’entretenait une imagination ténébreuse. Nous nous associons complètement à ce que dit sur ce point notre collaborateur M. Auguste Laugel : « Jamais le gouvernement anglais n’eut à se plaindre sérieusement de la conduite de la France vis-à-vis de l’Espagne ; mais il plaisait à Palmerston de nourrir des griefs contre nous, de nous représenter comme des alliés peu sûrs, des modèles de fourberie, des abîmes d’ambition ; il voit rouge quand il est question du roi des Français… » C’est donc sur lui que pèse la responsabilité tout entière ; il ne faisait aucun cas de cette grande pensée libérale et civilisatrice, l’union de l’Angleterre et de la France. Il tenait à humilier la politique française au moment où cette politique, si amèrement combattue chez nous comme trop dévouée à l’alliance anglaise, avait droit à des témoignages d’amitié. Pour détruire l’œuvre si bien commencée par sir Robert Peel et lord Aberdeen, aucun moyen ne lui coûtait. « S’il avait mis Cobourg sur le trône d’Espagne, ajoute M. Auguste Laugel, il eût bien ri de la candeur de ceux qui eussent accusé sa diplomatie d’incorrection. » voilà l’homme qui taxe de duplicité ceux qui ne faisaient que se mettre en garde contre ses intrigues ! M. Ernest de Stockmar lui-même, le fils et l’éditeur du célèbre baron, malgré son désir de nous trouver en faute, est obligé de convenir que Palmerston a été bien mal inspiré lorsque, non content d’inscrire le prince de Cobourg sur la liste des prétendans à la main de la reine d’Espagne, il l’y a placé au premier rang. Seulement il croit que c’est l’erreur d’un jour, un oubli, une maladresse très fâcheuse sans doute, mais fortuite. Il n’y avait rien là de fortuit, c’était un système obstinément suivi, un système qui obligeait la France à se défendre, non certes contre la reine et le prince Albert, mais contre les manœuvres de lord Palmerston.

N’y avait-il donc aucun moyen de faire cesser les malentendus ?