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Marie-Amélie), il lui reproche d’avoir manqué à la vieille galanterie française, d’avoir oublié ce qu’un gentleman doit à une dame[1]

Ce sont là des questions bien délicates, et il n’y a, selon moi, qu’une manière de les juger, c’est de se placer au vrai point de vue, je veux dire au point de vue des intentions. Quel a été le sentiment de la reine Marie-Amélie, ou plutôt du roi Louis-Philippe, quand il a pris le parti d’annoncer le double mariage à la reine d’Angleterre comme si rien ne s’était passé jusque-là ? Évidemment cette lettre a été longtemps méditée ; entre les différentes formules qui se présentaient, il a choisi la plus simple, la moins pénible, celle qui écartait toute idée de discussion, celle qui le dispensait d’exprimer des regrets sans franchise ou des reproches hors de propos. Le baron de Stockmar écrit doctoralement dans ses notes : « Si le roi voulait se délier des engagemens du château d’Eu, il devait le faire par voie diplomatique à l’égard du gouvernement anglais, et en même temps, ou mieux encore avant, il devait le faire en son nom personnel, comme un gentleman à l’égard d’une dame, par voie de courtoisie royale. » Stockmar nous montre ici qu’il ne connaissait pas les dépêches échangées entre Paris et Londres aux mois de juillet et août 1846. Ce qu’il demande a été fait ; dès les premiers actes de lord Palmerston, le gouvernement français avait annoncé au foreign office qu’il se regardait comme dégagé. Reste donc la question de la démarche personnelle, mais ce sont là encore une fois des choses d’une extrême délicatesse, et c’est surtout l’intention qu’il faut voir.

Je remarque d’ailleurs que Stockmar, sans s’inquiéter de se contredire, nous donne un peu plus loin la véritable explication des sentimens de la cour d’Angleterre. Dans une lettre qu’il écrit le 10 novembre 1846, sans doute à un de ses amis de Cobourg ou de Gotha, on trouve ces curieuses paroles : « Ici tous, vont bien, mais tous sont réellement affligés. Au commencement, la reine était tout entière aux idées de pardon et de réconciliation ; le prince, au contraire, ressentait le coup comme il convient à un homme ; il y voyait une chose injuste au fond, une offense nationale dans la forme et pour lui-même un procédé blessant, car il pouvait se dire qu’ayant sacrifié à de hauts intérêts politiques sa bienveillance pour son cousin, il n’avait reçu en échange de ce sacrifice qu’une marque d’ingratitude sous la forme la plus dédaigneuse. » Ainsi la première impression de la reine Victoria n’a pas été un mouvement de colère, peut-être même avait-elle senti avec une délicatesse féminine l’intention secrète du roi et de la reine des Français ; l’interprétation

  1. Als Gentleman einer Dame gegenüber.