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qu’à cette date, en 1841, il y avait en Espagne un parti nombreux, actif, qui désirait manifestement le duc d’Aumale. L’éclat militaire du jeune officier de l’armée d’Afrique avait excité en sa faveur des sympathies ardentes. Il est impossible d’étudier l’histoire des mariages espagnols sans rencontrer ce parti et ce projet jusqu’à la veille même du jour où est décidé le mariage du duc d’Aumale avec une autre princesse de la maison de Bourbon, Marie-Caroline-Auguste, princesse des Deux-Siciles, fille du prince Léopold de Salerne. C’est le 25 novembre 1844 que fut célébré ce mariage ; or, de 1841 à 1844, Louis-Philippe ne cesse de repousser les tentations qui lui viendraient de Madrid. Il écrit à M. Guizot le 1er novembre 1841 : « En vérité, c’est bien le cas de dire à ceux qui seraient tentés de se quereller aujourd’hui pour la main d’Isabelle II : avant de se disputer le trône d’Espagne, il faut savoir s’il y aura en Espagne un trône à occuper. » C’était sous la régence d’Espartero qu’il s’exprimait de la sorte ; après la chute du régent (29 juillet 1843), il tiendra encore le même langage, comparant les affaires d’Espagne aux cylindres mouvans des grandes usines. Malheur à qui ne se défie pas de l’engrenage ! Les dents de la machine emportent et broient tout ce qui s’y introduit.

Un de ces engrenages qu’il redoutait par-dessus tout, c’était la nécessité de répondre à une ouverture qui lui serait faite par le cabinet de Madrid au sujet du duc d’Aumale. Décidé à refuser cette demande, il ne se dissimulait pas les inconvéniens et même les dangers de son refus. Ne serait-ce pas blesser l’Espagne, irriter son orgueil, la rejeter du côté de l’Angleterre ? Le but à poursuivre, c’était donc que cette demande ne se produisît pas ; telle était la constante préoccupation du roi. Seulement, quel était le modus faciendi ? Comment faire entendre au cabinet de Madrid qu’on voudrait voir ce projet abandonné ? Il n’est pas facile d’insinuer ces choses-là sans courir les risques d’un peu de ridicule. « Je sens l’embarras, écrivait le roi à son ministre ; on ne refuse que ce qui vous est offert, ou bien on s’expose à s’entendre dire : Mais vraiment qui vous a dit qu’on songeait à vous ? » Fort bien, tout cela n’est que trop juste ; permettra-t-on cependant que les Espagnols se laissent entraîner à faire leur démarche, « dans la présomption qu’une offre nationale de l’Espagne exclurait la possibilité d’un refus et forcerait l’acceptation ? » Non, conclut le roi après cette curieuse délibération avec lui-même, non, « il faut instruire nos agens pour écarter et faire avorter autant qu’ils pourront toute proposition relative à mon fils. »

Il est regrettable que M. Ernest de Stockmar n’ait pas étudié plus attentivement sur ce point le dernier volume des Mémoires de M. Guizot ; à moins que son siège ne fût fait d’avance, il aurait