Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On entrevoit à ce seul exposé le conflit qui va surgir. La France ne saurait être désintéressée dans une pareille affaire ; sans y être engagée aussi directement, l’Angleterre, selon les circonstances, aura des objections graves à présenter. La France de 1830, gouvernée par un roi de la maison de Bourbon, pouvait-elle consentir à ce qu’une reine d’Espagne, une Bourbon, fût mariée à un prince d’une maison étrangère ? Non, certes. Un sentiment de famille, parfaitement d’accord avec l’intérêt politique, devait inspirer Louis-Philippe, et, pourvu que l’affaire fût conduite d’une main délicate, il était impossible de ne pas apprécier les raisons vraiment royales qui lui dictaient ses résolutions. D’autre part, l’Angleterre pouvait-elle permettre que l’Espagne fût trop étroitement unie à la France, que le mari de la reine d’Espagne fût un prince français, qu’un fils du roi Louis-Philippe partageât la fortune d’Isabelle ? Pas davantage. Des deux côtés, il y avait un principe à maintenir et des concessions à faire.

Les notes de Stockmar nous apprennent que dès l’année 1840, la reine d’Espagne n’ayant encore que dix ans, le gouvernement français se préoccupait déjà de son mariage. Lord Palmerston étant venu à Paris vers la fin de cette année, M. Guizot s’entretint avec lui des affaires générales de l’Europe, et, arrivé au chapitre, de l’Espagne, dit simplement ces mots : « La reine épousera Cadix, ensuite Montpensier épousera l’infante. » Cadix, c’était le duc de Cadix, don François d’Assise, fils aîné de l’infant don François de Paule, celui qui en effet épousa la reine six ans plus tard, le 10 octobre 1846, le même jour que le duc de Montpensier épousa l’infante Luisa-Fernanda. La forme de cette déclaration : « La reine épousera Cadix, ensuite Montpensier épousera l’infante, » atteste que ce plan venait du roi Louis-Philippe. M. Guizot ne se serait pas exprimé aussi familièrement s’il eût parlé en son nom propre ; il répète, cela est évident, les mots employés par le roi, et c’est le roi lui-même que nous entendons. Là-dessus, — toujours suivant le récit de Stockmar, — lord Palmerston annonça les objections que l’Angleterre serait obligée de faire à ce projet : « Fort bien, disait-il, c’est un Bourbon d’Espagne, d’après votre plan, qui épousera la reine d’Espagne ; mais si la reine vient à mourir ? si elle meurt sans postérité ? Pouvons-nous admettre qu’un Bourbon de France épouse la sœur de la reine d’Espagne, celle qui lui succéderait en cas de malheur ? » À quoi M. Guizot aurait répondu avec une merveilleuse assurance : « La reine aura des enfans et ne mourra point. »

Ce pronostic de M. Guizot, pour le dire en passant, s’est réalisé de tout point. L’enfant dont il parlait est devenue femme, elle a eu beaucoup d’enfans, elle vit encore, et si elle ne règne plus sur l’Espagne depuis la révolution de septembre 1868, c’est son fils, le