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pas vingt-deux. Au point de vue extérieur, tout ici respirait la jeunesse, et il n’y avait en jeu que des affections de famille. En outre, que de garanties pour le bonheur de l’Espagne ! La jeune reine n’était encore qu’un enfant de trois ans lorsque le 29 septembre 1833 elle avait succédé à son père le roi Ferdinand VII, en vertu de l’ordre de succession légitime établi par la coutume du royaume et confirmé par le décret royal du 29 mars 1830. On sait avec quelle ardeur cet ordre fut contesté dès le lendemain de la mort de Ferdinand VII. Don Carlos, infant d’Espagne, frère puîné du feu roi, invoqua la loi salique, apportée en Espagne, disaient ses partisans, par la dynastie des Bourbons, et se considéra dès lors comme l’héritier légitime de la couronne. Cependant Isabelle, proclamée reine d’Espagne à Madrid le 2 octobre 1833, avait été placée sous la tutelle de sa mère Marie-Christine, nommée régente du royaume. Ce fut le signal de la guerre civile, — non pas guerre de famille seulement, l’oncle d’un côté, la nièce de l’autre, — mais guerre de deux partis, — les absolutistes poussant au combat l’indolent don Carlos, les libéraux s’attachant à la cause d’Isabelle et de la régente, sa mère. Est-il besoin de rappeler les orages de cette minorité, les perpétuelles vicissitudes de la lutte, tantôt les carlistes marchant sur Madrid et le trône d’Isabelle menacé, tantôt les vainqueurs prenant la fuite et les vaincus revenant à la charge, la défaite d’hier réparée par l’avantage d’aujourd’hui, l’impétueuse poussée du matin amenant la reculade du soir, rien de fait, nulle relâche, nul résultat, une interminable partie d’échecs, aussi meurtrière que fantasque, enfin, après six années d’alternatives sans nombre, l’insurrection réduite à néant par l’incapacité de don Carlos et la mort de son principal champion, l’intrépide Zumalacarréguy, le prétendant obligé de chercher un refuge en France, Espartero écrasant dans les provinces basques et aragonaises les derniers restes de l’absolutisme ? Est-il besoin de rappeler aussi, après cette victoire de 1839, la division introduite parmi les vainqueurs, les modérés et les exaltés aux prises, Marie-Christine destituée de ses hautes fonctions par les cortès, Espartero investi de la régence, le successeur de Marie-Christine renversé à son tour, puis, sa déchéance prononcée, les cortès, au lieu d’élire un autre régent, proclamant la majorité d’Isabelle âgée seulement de douze ans et demi ?

Sans entrer dans le détail de ces événemens, il suffit de les rappeler pour faire comprendre l’intérêt immense que présentait le mariage futur de la jeune reine. Il s’agissait de la pacification de l’Espagne. Soutenu mollement par les modérés, attaqué sans relâche par les exaltés, le gouvernement d’Isabelle avait besoin de compter sur une grande puissance étrangère. À qui devait-il demander ce patronage ? À la France ou à l’Angleterre ? telle était la question.