Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Orsini, Adrienne, Julie Farnèse, Lucrèce, prosternées aux pieds du crucifix, priaient ensemble et d’un cœur si pur, si ému, si profondément chrétien, que leurs voix furent exaucées. A l’aurore, des messagers du Vatican accouraient leur annoncer la bonne nouvelle. On raconte que dans la matinée de ce bienheureux jour, lorsque Alexandre VI fut transporté du conclave dans la métropole de Saint-Pierre pour y recevoir le premier hommage, son œil rayonnant de joie chercha tout de suite les siens ; à travers l’immense foule, il semblait de sa vue les fortifier en l’espérance de l’avancement de ses desseins, de sa fortune et de sa grandeur, et leur dire sans parler : Je vous vois !

Tous étaient là venus à la hâte célébrer ce grand triomphe. De longtemps Rome n’avait admiré le spectacle d’un si beau pape. Il avait la majesté jointe à la grâce, le charme et la séduction dans l’autorité : une stature souveraine, le geste imposant, des mains d’archange et quelle voix ! Évidemment Dieu l’avait créé pour monter aux autels et pontifier : Ecce sacerdos magnus ! Bénisseur magnifique dont l’exemple enflamma plus tard notre cardinal de Rohan et que tant d’autres prélats, grands seigneurs, imitèrent sans l’égaler. Veut-on un crayon pris sur le vif, un contemporain, Gaspard de Vérone, va nous le fournir : « Il est beau, séduisant, joyeux d’aspect et plein de douceur, d’attrait en ses paroles. A la vue d’une belle femme, toute sa personne entre en effervescence, et, plus vivement que l’aimant n’attire le fer, il l’attire à lui. » Ce genre d’organisations physiques et morales ne manque pas de représentans : Casanova, le régent, s’y rattachent ; mais l’original est de voir un Casanova, un Philippe d’Orléans, lier et délier au nom du Christ. Statura procerus, colore medio, nigris oculis, ore paululum pleno, ainsi nous le dépeint Jérôme Portius en 1493 : haut de taille, d’un teint légèrement coloré, l’œil noir, la bouche un peu charnue, et de plus une santé splendide, capable de supporter sans gêne aucune toutes les fatigues du sacerdoce et du plaisir, beaucoup d’éloquence, d’éclat mondain et de courtoisie. Vous restez émerveillé devant l’équilibre parfait de cette puissante et royale nature, ne respirant que mansuétude et placidité olympienne.

Onze jours après son élection, Alexandre faisait évêque de valence son fils César, âgé de seize ans, et bientôt le Vatican se peuplait d’Espagnols, parens, amis, cliens et familiers de la nouvelle maison régnante, tous en quête de places et d’honneurs, tous avides d’argent et se ruant à la curée. Parlant de cette clique dévorante, Jean-André Boccace écrit au duc de Ferrare (1492) : « Dix papautés, si on les avait, ne suffiraient point à la satisfaire. » Préparer pour sa fille une brillante alliance fut alors la pensée du