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Au moment où commence la triste période de nos guerres religieuses, quand la marine française a perdu son éclat du temps de François Ier, quand nos mœurs plient sous le poids de la corruption italienne, quand la prépondérance espagnole nous étouffe de toutes parts, un grand patriote, Gaspard de Coligny, ouvre à la France le secret d’une grandeur nouvelle : nos manet Oceanus ; arva, beata petamus arva. Les noms de Jean Ribaut, de René de Laudonnière, du sieur de Forquevaulx, du charpentier dieppois Nicolas Le Challeux, de l’héroïque De Gourgues, figurent très honorablement auprès du sien. M. Paul Gaffarel a raconté leurs diverses expéditions simplement, avec précision et clarté, en mettant sous les yeux de son lecteur les cartes nécessaires. Il a fait quelque chose de plus : dans une seconde partie de son volume, il a réimprimé soigneusement certaines relations originales devenues très rares. Il y a même ajouté des narrations et des lettres inédites d’un réel intérêt. Nous citerons particulièrement les Lettres et papiers d’état du sieur de Forquevaulx, que lui a offerts un manuscrit de la Bibliothèque nationale, à Paris. Là sont réunies près de cinq cents pièces adressées par Charles IX et Catherine de Médicis à leur ambassadeur en Espagne, Raymond de Pavie, sieur de Forquevaulx, avec les réponses. Cinquante-quatre de ces lettrés se rapportent aux affaires floridiennes ; trente-cinq étaient entièrement inédites : M. Gaffarel nous les fait connaître. On devine de quel puissant intérêt peuvent être de tels documens, dont le style énergique et naïf respire encore toute l’ardeur de ces hommes du XVIe siècle. Chacune de ces pages témoigne de l’esprit d’aventure, de l’ardent patriotisme, de l’esprit d’indépendance politique et religieuse, qui faisaient la forte vie de ces générations. Les fautes commises apparaissent en même temps, l’inconstance, la témérité, l’imprévoyance ; mais beaucoup de ces défauts venaient sans doute de l’inexpérience politique. On ne croit plus aujourd’hui, comme le pensait encore Montesquieu, que « les princes ne doivent point songer à peupler de grands pays par des colonies ; » on n’estime plus que « l’effet ordinaire des colonies soit d’affaiblir le pays d’où on les tire, sans peupler ceux où on les envoie. » Voltaire ne presserait plus M. de Chauvelin de débarrasser la France du Canada ; nous n’aurions plus d’éloges pour Bonaparte vendant la Louisiane aux États-Unis. A la parole fatale qui nous a coûté si cher : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » l’auteur de l’Histoire de la Floride souhaite à bon droit de voir notre temps substituer la ferme et saine résolution qui sacrifierait aux colonies bien des utopies mauvaises et beaucoup de prétendus principes.


A. GEFFROY.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.