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révolutionnaires au service d’une ambition dynastique, tout enfin jusqu’au parti, qu’un habile homme peut tirer « d’un tas de petites choses. »

Quand le bruit se répandit à la cour de Frédéric-Guillaume III que Napoléon se proposait de restituer le Hanovre à l’Angleterre, la coupe des amertumes déborda, et le 11 août, à la suite d’une dépêche reçue de Paris, la mobilisation fut décidée. À la politique des tergiversations succédait la politique des résolutions précipitées. La Prusse se croyait prête, elle ne l’était pas. Les incapacités les plus notoires occupaient les premiers postes, le désordre régnait dans toutes les têtes. Le président Haenlein écrivait à Hardenberg le 24 août : « Il faut pleurer sur tout ce qu’on voit et ce qu’on entend, cela passe toute idée. » Le 17 septembre, le roi parlait de ses alliances à son ex-ministre des affaires étrangères ; il en était certain, plus que certain, et il comptait dans le nombre l’alliance de la Grande-Bretagne, avec qui il était en guerre, celle de l’Autriche, qui lui fit défaut, celle de la Russie, qui n’était que préparée ; il ne reçut qu’après les batailles d’Auerstaedt et d’Iéna la réponse à la lettre par laquelle il avait demandé 60,000 hommes à l’empereur Alexandre. La 26 septembre, il écrivit de Naumburg à Napoléon une fière et noble déclaration, qui se terminait par ces mots : « Plaise au ciel que nous puissions nous entendre sur des bases qui vous laissent toute votre gloire, mais qui laissent aux autres peuples leur honneur et qui fassent finir pour l’Europe cette fièvre de crainte et d’attente, au milieu de laquelle personne ne peut compter sur l’avenir ni calculer ses devoirs. » Cette déclaration était conçue en des termes dont la franchise pouvait paraître offensante, et pourtant Frédéric-Guillaume III nourrissait l’espoir que l’acte d’énergie qu’il venait de hasarder imposerait à Napoléon, que ce terrible homme demanderait à ouvrir des négociations. L’aigle qui prend son vol pour fondre sur sa proie s’amuse-t-il à négocier ? À la vérité, le ministre de France à Berlin, Laforest, affirmait que, quand les deux quartiers-généraux se seraient rapprochés, on échangerait des explications qui arrêteraient tout. Lorsqu’il se présenta au quartier prussien, il fut hébergé par le duc de Brunswick, qui le reçut chapeau bas et lui offrit l’hospitalité. Comme le roi, le généralissime de l’armée prussienne s’obstinait à ne pas désespérer de la paix ; ils connaissaient bien peu et la situation et leur ennemi. Napoléon avait déjà tiré du fourreau cette épée dont les rapidités déroutaient tous les calculs et qui visait toujours au cœur.

Ne peut-on pas appliquer à la bataille d’Iéna la réflexion qu’inspirait à M. Thiers le désastre de Sedan ? Les grandes victoires qui décident en quelques heures du sort d’un pays, disait-il un jour, sont remportées moins par une armée sur une autre que par un gouvernement habile et prévoyant sur un gouvernement aveugle et maladroit, qui joint les emportemens aux faiblesses.


G. Valbert.