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Paris a vue à l’heure présente. Suivre le développement de l’action scène par scène nous fournirait d’ailleurs peu d’occasions de critiques, car c’est surtout par l’ensemble que vaut Dora, et cet ensemble a été coulé dans le moule dramatique en une seule fois et d’un jet heureux. Nous nous bornerons à présenter à l’auteur deux observations. Il nous semble qu’il n’a pas fait de son espionne Zicka tout ce qu’il en pouvait faire. Il tenait, s’il l’eût voulu, un caractère, il n’a présenté qu’un instrument d’action. Zicka pouvait et même devait être le personnage capital de la pièce, elle n’en est que le principal ressort. On voit agir Zicka, mais on ne la voit pas penser, on ne la voit pas sentir, on n’assiste pas aux orages et aux conflits de sa vie morale intérieure, car nous comptons pour rien ou peu de chose la narration quelque peu sèche et concise qu’elle fait au troisième acte de son affreux passé et les déclamations devenues passablement banales qu’elle lance à l’adresse de la société marâtre. C’était cependant un caractère curieux à pénétrer et tout naturellement fertile en grands effets dramatiques que celui de cette femme homicide par métier et presque par devoir, couverte par le secret contre les conséquences de ses manèges, et qui partout où elle passe porte le deuil avec elle par cela seul qu’elle a passé. Pour n’être qu’un instrument passif, Zicka n’est-elle donc pas une personne vivante ? Si elle est sans responsabilité, est-elle donc sans remords, et si elle est sans moralité, est-elle sans conscience ? Zicka aimait en secret M. de Maurillac, l’époux de l’innocente Dora ; pourquoi n’avoir pas insisté davantage sur cet amour condamné au silence forcé, pourquoi ne nous en avoir pas montré le désespoir profond et continu coupé ça et là de vains rêves et d’illusions rapides que le sentiment de la réalité replonge bien vite dans la nuit ? Cet amour était le vrai moyen d’éclairer en pleine lumière la sombre et infernale situation dans laquelle Zicka se débat au sein des ténèbres, et alors, en place d’une marionnette perverse, nous nous trouvions en présence d’un personnage vraiment dramatique parce qu’il devenait moral et humain.

Notre seconde observation a trait au caractère même de Dora. Il nous semble que, pour si Espagnole qu’elle soit, cette intéressante personne manque quelque peu d’une certaine fierté et d’une certaine délicatesse. On dirait vraiment qu’elle n’a pas confiance en sa valeur, car il lui échappe trop fréquemment des paroles d’où l’on peut induire que le prix dont elle s’estime n’a rien de fort élevé. Elle ne dit pas : Je suis pauvre, mais que l’homme qui me prendrait s’enrichirait en m’épousant ! elle dit : Je suis pauvre, mais que je saurais gré à l’homme qui me ferait la charité de m’épouser ! Lorsque M. de MauriIIac lui annonce qu’il l’épouse, — car il ne prend pas garde qu’il ne lui demande pas si elle veut accepter sa main, il