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ravages dans le ménage de son ami Maurillac, rappelle quelque peu les ruses d’Olivier de Jalin au dénoûment du Demi-Monde ; il est certain enfin que les personnages épisodiques de la princesse Bariatine et du député dijonnais ont tout à fait le ton et les allures de ces comparses amusans faits pour les arrière-plans du drame, et que M. Dumas aime d’ordinaire à confondre sur le premier plan avec les personnages principaux. Eh bien ! nous ne nous en plaignons pas, car la pièce de M. Sardou a gagné à cette assimilation si complète une unité d’action et de ton, une simplicité de plan, une logique de déduction que ses œuvres précédentes n’ont jamais présenté à ce degré. L’intrigue à marché cette fois sans dévier, se ralentir et se reprendre, pas de mesquines surprises, à peine quelques incidens parasites ou inutiles. Chaque partie du drame possède son intérêt propre et se suffit à elle-même ; la matière a été heureusement coupée et intelligemment distribuée de manière qu’aucune ne nuise trop à une autre dans le souvenir du spectateur. Il n’y a plus là des actes entiers employés à préparer la situation capitale ; cette situation, à la fois naturelle et imprévue, éclate à sa place logique, c’est-à-dire au troisième acte, par les moyens les plus aisés du monde, sans que rien dans l’exposition, qui est excellente, et dans le second acte, qui est plus languissant, ait pu la faire soupçonner, tant l’auteur a mis d’habileté à la masquer. Une fois créée cette situation est poussée jusqu’à ses dernières limites avec une violence extrême, et cependant avec une minutie d’analyse et un souci des nuances qui sont des plus remarquables. On a là au complet le spectacle d’une âme en proie au sentiment de l’incertitude, sentiment des plus dramatiques assurément, mais des plus dangereux à prolonger longtemps, à cause des saccades contradictoires, et des alternatives de défaillance et d’espoir qui le composent, et qui font éprouver, au spectateur quelque chose de la sensation pénible que donne un voyage sur une route au pavé inégal. Enfin arrive le dénoûment, que cette fois on n’a pas envie de trouver brusqué et qui est accueilli avec bonheur, car la situation a donné tout ce qu’elle contenait de passions, et il est temps d’en finir. Une des scènes de ce drame, celle qui donne naissance à la situation capitale, a été rapidement célèbre ; mais à mon avis cette célébrité mérite de s’étendre aux deux actes entiers qui sont consacrés au développement de cette situation, car ils sont au nombre des plus émouvans qu’il y ait dans le théâtre contemporain. Dora, c’est M. Dumas sans ses puissans défauts, M. Dumas moins ses tirades misanthropiques, son pessimisme meurtrier, ses boutades amères, en sorte que c’est vraiment tant pis pour lui si la pièce n’est pas signée de son nom.

Nous n’avons pas à entrer dans l’analyse de cette œuvre, que tout