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légèreté et dans le vice que ceux de ces diverses pièces s’en tirent à aussi bon compte, encore moins peut-elle admettre qu’ils soient aussi subitement guéris de leurs folies ou de leurs erreurs, et qu’il ne leur en reste rien après le pardon, l’excuse ou l’amnistie dont les bénit M. Sardou. En supposant même qu’ils soient guéris, les conséquences de leurs fautes restent, et il n’y a pas de dénoûment heureux qui puisse les effacer. L’excellent oncle de Maison neuve ouvre ses bras à ses neveux repentans, s’ensuit-il moins que ces neveux viennent de se souiller et presque de se déshonorer ? Les demoiselles Benoiton sont guéries par une série de cruelles aventures de la manie du scandale, s’ensuit-il moins que ce scandale a eu lieu ? Le célibataire des Vieux Garçons rencontre un fils dans son rival, s’ensuit-il moins qu’il vient de commettre un acte indigne ? L’auteur a beau donner un dénoûment heureux à une conduite coupable, la conscience et la logique, protestant chacune de leur côté, crient que ce bonheur est immérité et qu’une conclusion où les personnages subiraient les conséquences de leurs fautes les satisferait davantage.

Ces dénoûmens ont encore un autre défaut, mais qui cette fois n’intéresse que l’art, c’est qu’ils sont d’ordinaire beaucoup trop brusqués, et qu’ils réalisent tout, à fait le deus ex machina des pièces antiques. Nous connaissons bien la réponse : le dénoûment est chose secondaire, car enfin il faut finir, et il y a de très grands auteurs dramatiques, Molière en tête, dont les dénoûmens n’existent à peu près pas. Cela est vrai, mais la comédie de Molière n’est pas celle de M. Sardou. La comédie de Molière est la comédie de caractère, et le dénoûment y est chose indifférente, si dans le cours de la pièce les personnages ont montré leur nature au complet ; une telle comédie pourrait même à la rigueur ne pas se terminer du tout et s’interrompre sur quelqu’une des situations dramatiques amenées par le vice ou le défaut du personnage principal, car elle dirait ainsi au spectateur : voici jusqu’où peut aller un tel caractère et ce qu’il peut engendrer de malfaisant, en laissant au lecteur le soin de conclure. Il n’en va pas de même dans la comédie d’intrigue, où le dénoûment est une part essentielle de l’intrigue, ni dans le drame de passion, où les personnages, une fois entraînés, doivent aller jusqu’au bout d’eux-mêmes, et où il est inadmissible que l’âme, une fois mise hors de son équilibre, se calme subitement. Je n’indiquerai qu’un seul de ces dénoûmens brusqués, celui de Fernande. Dans cette pièce, l’auteur a très adroitement rajeuni et varié le célèbre épisode de Mme de La Pommeraye et du marquis Des Arcis du Jacques le Fataliste de Diderot. La modification qu’il a fait subir à la vengeance de la femme, qui se prétend outragée par l’abandon qu’elle a provoqué elle-même, est