Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était naguère adepte du spiritisme, je ne sais, mais en vérité je ne connais rien qui ressemble autant à ce qu’on raconte des réceptions franc-maçonniques avec leurs épreuves pour rire et leurs effrois simulés que ses comédies.

Voici un amant, enfermé de nuit sur le balcon d’une femme mariée ; il s’agit de sauter de ce balcon pour sauver l’honneur de sa maîtresse ; bravement il se lance tête baissée dans l’abîme et tombe sur une touffe de dahlias qu’il écrase. Un autre, surpris dans la même position que le précédent, a l’héroïsme de se faire passer pour voleur ; on mande le commissaire de police afin qu’il dresse son enquête pour une prochaine cour d’assises, et il arrive pour constater une promesse de mariage. Un vieux célibataire libertin s’avise de se placer en rivalité d’amour avec son fils naturel dont il n’a jamais pris souci et qui l’exècre d’instinct cordialement. Au moment d’être justement souffleté, il ouvre ses bras, et ce fils, en qui la nature outragée n’avait fait parler jusqu’alors que le mépris, dément en un clin d’œil son caractère et ses répugnances instinctives pour s’y précipiter. Un galant ivre s’introduit dans l’appartement de sa voisine, qui, pour s’en débarrasser, s’avise de lui donner de l’opium ; l’ivrogne s’empare de la fiole, en avale le contenu et tombe inanimé ; la dame, qui le croit mort, s’empresse de fuir ce cadavre accusateur, mais un médecin appelé en toute hâte le ressuscite par quelques fortes doses de café noir. Un mari découvre que sa femme est en correspondance et en relations clandestines avec un homme qui lui est inconnu ; éclat, fureurs, menaces de séparation judiciaire. Ce n’était cependant qu’une fausse alerte ; la dame n’avait eu que le tort de jouer trop gros jeu dans une ville d’eaux où elle avait perdu une somme excédant ses ressources, en présence d’un témoin bien appris qui avait eu la galante charité de la tirer d’embarras, d’où cette mystérieuse correspondance et ces relations secrètes. Un jeune homme est aperçu tournant autour de la maison d’une intéressante orpheline : les tuteurs s’en émeuvent et prennent la résolution d’aller droit au séducteur ; on le fait entrer pour le démasquer et, après l’avoir poliment prié de s’asseoir, on entame avec lui une discussion fort bien conduite pour, contre et sur le progrès moderne. Il y a dans tout cela, il en faut convenir, plus de peur que de mal, et le drame menace plus qu’il ne frappe, mais c’est justement par là que l’auteur a prise sur son public et donne satisfaction aux exigences très particulières que le spectateur apporte au théâtre. L’auteur l’a ému un moment, juste le temps nécessaire pour que cette émotion reste un plaisir ; puis, lorsqu’elle pourrait dégénérer en angoisse, il le replace rassuré dans son assiette habituelle et lui dit rieusement : « Ce n’était qu’un jeu, car, vous le savez, nous sommes au théâtre. »