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du chemin sur un lit de pierres. Au-dessus de nous, rien d’aride, rien de brûlé ; la vue, bornée par des collines, ne porte que sur des bois verts, vigoureux, aux cimes toutes fraîches, et il ne tenait qu’à nous de nous croire transportés en France, tant ce paysage différait de ce que nous voyions tous les jours en Grèce et ressemblait à nos belles vallées d’Auvergne.

Le soleil nous gagna comme nous atteignions le sommet d’un second vallon plus vaste, inondé de lumière. En face de nous, sur un petit plateau au bord du torrent devenu plus large, une troupe de Vlaques, que les Grecs appellent indistinctement Bohémiens, nous apparut au milieu de son campement. Ils étaient venus du nord, par la Roumélie, et, passant par l’isthme de Corinthe, continuaient leur immigration jusqu’à la mer. La Grèce est un pays du reste si pauvre en pâturages qu’il est rare de leur voir pousser leur marche jusque-là ; c’était la première fois que nous les rencontrions réunis en tribu, et, sortant du vallon tout ombragé pour surprendre cette scène qu’éclairait un soleil ardent, nous regardions curieusement à nos pieds : une infinité de moutons, quelques bœufs, une cinquantaine de chevaux broutaient l’herbe nouvelle, dispersés au fond de la vallée. Les femmes et les enfans au bord du torrent lavaient du linge, et, l’étendant sur des pierres, le faisaient sécher, tandis que les hommes, groupés en cercle sur un petit plateau, dansaient et chantaient autour d’un grand feu où rôtissait un agneau (le classique arni à la palikare). La bande nous reçut avec des cris de joie et des bravos, et nous dûmes suspendre un instant notre route pour répondre à la politesse de ces braves gens, qui nous firent boire à tour de rôle un grand verre de vin blanc.

Après cette halte, nous laissons la vallée, et, gravissant le coteau au sud-est, nous entrons dans la montagne, montant avec le soleil qui nous brûle et que nous aurons à supporter jusqu’à Solo. Autour de nous, tout était déjà desséché ; le sentier se perd au milieu de la poussière et des pierres, et quand nous atteignîmes le sommet, nos guides, craignant de se fier à un pareil chemin, nous firent suivre pendant plusieurs lieues, de l’ouest à l’est, la crête de la montagne. Un nouveau panorama se déroulait à notre gauche, au nord ; au-dessous de nous de hautes montagnes toutes dépouillées, sauf une qui est couverte de sapins, s’échelonnent jusqu’à la côte ; le golfe étend ses eaux dormantes et bleues jusqu’au rivage opposé, que nous distinguons avec ses mille découpures : un port plus grand, presqu’au pied du Parnasse, se creuse et découvre une tache blanche, c’est la ville de Galaxidi. A notre droite, au sud, ce sont des sommets, des pics, des arêtes à l’infini, toutes les cimes des monts d’Arcadie, couvertes çà et là de glaciers