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et répétait toujours : « vous le devez, il faut payer. » Nous cédâmes pourtant, trop vite à notre gré, pour ne pas retarder davantage notre départ, et nous suivîmes un autre chemin longeant la terrasse vers l’est, sous le regard inquiet des moines, qui voyaient disparaître avec joie cette troupe d’étrangers.

Pour moi, qui avais conservé l’impression de l’accueil des moines de Taxiarque et du chapelain de Pépélénitza, cette visite au Mégaspiléon était le renversement de nombreuses illusions. Au lieu d’une société paresseuse, mais inoffensive, j’avais trouvé là des hommes sans intelligence, sans foi, sans caractère, mais non pas sans passions. La dépravation flagrante qui s’étale dans ce couvent a laissé au fond de tous ces cœurs deux sentimens profonds bien qu’exercés dans une sphère étroite : l’ambition et l’envie troublent sans cesse d’une agitation sourde, mais effrénée, le silence du cloître. Chacun hait et jalouse son voisin comme un rival, — tout ce qui n’est pas opprimé, anéanti, ne respire que dans la cabale et pour l’intrigue ; le plus humble travaille à ruiner le plus fort ; les meilleurs doivent demeurer sans cesse dans une éternelle défiance, et cet asile créé pour le repos n’est qu’un petit théâtre où de vilaines passions se dissimulent, mais agissent, où l’homme se fait l’ennemi de l’homme, et n’a d’autres jouissances que celles qu’il tire de l’abaissement d’autrui.

La cause de cette corruption si profonde, ou de ce retour à l’état primitif, est tout entière dans l’isolement des moines, quand on songe à ce que sont ces moines. Dénués pour la plupart de toute éducation, ne sachant même pas lire, parlant à peine leur propre langue, ce sont des paysans paresseux attirés là par l’espoir de vivre à leur aise. Ils sont loin des villes, — n’entretenant aucun commerce avec l’extérieur, livrés complètement à eux-mêmes par un gouvernement qui ne leur peut demander que la tranquillité au dehors, ils ne voient pas le monde au-delà de leur étroite vallée ; — sentant qu’ils échappent aux lois communes, trop inintelligens pour y suppléer par de bons règlemens ou une vie austère, il s’abandonnent à leur nature et nous donnent l’exemple d’une société vivant dans la société sans en faire aucunement partie. Un but, une distraction puissante, pourraient seuls les changer. Toutes ces volontés paresseuses, qui se laissent aller au mal faute de savoir trouver autre part une émotion, auraient besoin d’être dirigées : leur cours une fois changé, elles se tourneraient avec autant de facilité, peut-être avec moins d’insouciance, vers un passe-temps nouveau, et s’appliqueraient à bien agir. Ce que leur instinct appelle malgré eux, désir que l’oisiveté rend impuissant, mais plus ardent encore, c’est l’action : tous, sans y songer, ils se souviennent de leur nature créée pour le mouvement, leur esprit se révolte