qui coule avec assez d’abondance. Nous l’appelons Vrysis tis koris, — source de la jeune fille. C’est la découverte de cette source qui a fait élever notre monastère ; l’inscription que vous avez remarquée tout à l’heure le rappelle chaque jour à notre souvenir, et nous apprenons tous ici cette histoire, parce qu’elle est très vraie et qu’elle explique bien l’origine de Mégaspiléon. Si vous ne la connaissez pas déjà, je vous la conterai :
« Il y a longtemps, très longtemps, alors que les montagnes et les vallées étaient désertes et couvertes de bois, une jeune fille qui conduisait un troupeau de chèvres devait faire chaque jour beaucoup de chemin pour les mener boire, car il n’y avait pas d’eau dans le pays avant ce torrent ombragé de platanes que vous avez traversé pour venir ici. — Un soir elle remarqua que, bien avant d’arriver à la rivière, le bélier conducteur avait déjà la barbe mouillée, et bientôt elle observa que chaque fois il en était ainsi. — Elle se promit de l’épier, et un jour elle le suivit sa quenouille à la main, jusqu’à ce qu’elle le vît arriver dans une grotte, au pied de ces rochers, boire à une source qui était cachée par de grands buissons, mais qui est bien celle que vous avez vue. Aussitôt la jeune fille voulut boire à son tour et se mit à genoux au bord de l’eau, mais, comme elle allait pencher la tête, la grotte s’éclaira tout à coup, et une voix s’éleva qui lui dit : « Il existe une image de moi cachée dans la forêt. Mettez le feu à cette forêt ; un serpent si grand qu’il a des os, s’y cache ; tuez-le, prenez l’image, et construisez une église. » La jeune fille s’écria : « Mais comment me croira-t-on ? » La voix lui répondit : « Frappe la terre de ta quenouille, il en sortira un cyprès, » et elle se tut. — La jeune fille retourna au village, elle fit ce que la vierge lui avait dit, et les hommes, mettant le feu au bois, se postèrent à l’en tour ; le plus adroit des paysans tua le serpent géant d’une flèche, on construisit une chapelle, et peu à peu le monastère s’éleva. — Nous conserverons toujours cette image, c’est l’œuvre de l’apôtre saint Lucas ; elle est en cire et en mastic, et ce n’est pas le temps qui l’a noircie, mais le feu : un miracle a fait qu’elle n’a pas été fondue, et c’est le signe que la vierge protégera toujours notre couvent. »
Le moine, terminant par un grand signe de croix, nous laissa seuls sous l’impression de cette poétique légende ; nous restions accoudés devant la fenêtre ouverte et nous écoutions encore silencieux dans l’ombre du soir les bruissemens indistincts de la vallée, quand le prohigoumène, qui s’habituait à notre société, fit de nouveau son entrée. Il était suivi de quelques moines et paraissait dans l’intention de passer la soirée avec nous. Nous n’avions encore échangé aucune impression à son sujet, mais cet homme nous déplaisait instinctivement à tous ; sans nous en rendre compte, nous