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quand le prohigoumène, montrant nos fusils : « Oh ! il faut laisser vos armes, toutes vos armes, on ne peut pas entrer comme cela ici. » Cette injonction inattendue nous décontenança ; il est toujours sage en Orient de se tenir sur la défensive, et l’accueil que nous recevions ne nous encourageait pas à donner aux moines cette preuve d’excessive confiance ; cependant ils étaient chez eux, nous ne pouvions pas changer une règle aussi formelle : il fallut céder.

L’ancien portail, aux battans couverts de symboles religieux à demi effacés, s’ouvrit devant nous et, passant sous une voûte en maçonnerie, nous pénétrâmes dans une salle assez vaste, un peu sombre, dont le plafond cintré était supporté par de lourdes colonnes en granit. Une large porte ouverte au fond donnait accès à la chapelle, et nous apercevions, perçant dans l’obscurité, ses riches ornemens, qu’éclairait la lueur des veilleuses de cuivre. A gauche, une antique fenêtre à vitraux s’ouvrait sur la vallée. Nous étions dans la salle d’attente du couvent, également qualifiée d’oratoire par les caloyers. On nous montra l’église, ses murs et l’autel couverts d’images et d’offrandes du plus mauvais goût ; des reliques et le trésor modeste de ce monastère, où chacun ne professe à vrai dire de culte que pour soi-même.

En rentrant dans l’oratoire, les moines qui nous accompagnaient allumèrent des cierges et se placèrent devant nous. Pensant que c’était la coutume et qu’on traitait ainsi les étrangers qu’on voulait honorer, nous allions remercier le prohigoumène quand, se tournant vers nous : « C’est pour monter, dit-il, voici l’escalier, je vous suis. » Nous aperçûmes en effet une voûte noire qui donnait également sur la salle où nous étions, en face de la fenêtre. Les premières marches taillées dans le rocher nous apparurent bientôt, noires, inégales, humides, conservant après des siècles la crasse et la boue amoncelées sous chaque génération. Les parois de granit, auxquelles nous devions nous appuyer pour ne pas tomber, étaient devenues grasses sous les mains sales et sous le frôlement des robes de tous ceux qui passaient. En même temps, à mesure que nous montions, une odeur fade, écœurante, se dégageait des cellules sordides qui donnaient sur chaque palier et, mêlée aux émanations répugnantes que produit une ombre éternelle, remplissait l’étroite cage de cet escalier, qu’un rayon de soleil n’avait jamais pénétré.

La tête nous tournait quand nos conducteurs s’arrêtèrent ; le prohigoumène, ouvrant une porte, nous fit entrer dans une chambre qui nous parut lumineuse après notre ténébreuse ascension, et nous déclara que nous y pourrions demeurer jusqu’au lendemain matin. — C’était d’ailleurs la plus belle, ajoutait-il, celle qu’on réserve