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à la fois la bonté, le calme, la résignation ; à peine vêtu sous sa grossière robe de lin, cet homme si misérable, qui s’avançait gauchement embarrassé de deux bras trop longs, et que le moindre mot rendait confus, inspirait cette admiration respectueuse que donne la foi absolue observée par un être qui se dévoue tout entier à sa croyance et qui poursuit jusqu’à la fin avec conséquence le but qu’il a donné à sa vie.

Dès les premières paroles, quand il se fut excusé de la froideur que m’avaient montrée les calogriai, il me témoigna la reconnaissance que Pépélénitza conservait à ses sauveurs. — J’espère que vous ne prendrez pas mauvaise opinion de notre couvent, me dit-il ensuite, nous allons sortir ensemble, et je vous montrerai ce que vous voudrez voir. Seulement nous sommes bien pauvres, et si vous passez une nuit ici, j’ai honte de l’hospitalité que je vous offrirai. — Je vis que ce scrupule l’affectait réellement, et, comprenant que sa misère était complète et que mon arrivée la lui faisait sentir davantage, je le rassurai de mon mieux en lui répétant que je ne demandais qu’un abri sous son toit jusqu’au lendemain matin et que je serais heureux de demeurer chez lui. Alors, plus confiant, avec un regard où se peignaient le contentement et ses regrets : — Nous allons d’abord nous occuper de votre dîner, me dit-il.

Il alla prendre au fond d’une petite armoire creusée dans le mur un plat d’olives noires, du fromage de chèvre et un flacon d’huile, qu’il plaça sur l’appui d’une des fenêtres, puis incertain, troublé, il vint dire à voix basse quelques mots à l’oreille de sa fille, qui sortit sans parler. Elle revint bientôt radieuse avec deux œufs qu’elle tendit à Panaïoti (c’était le nom de son père), et que celui-ci mit sous la cendre. Ces préparatifs me rendirent confus à mon tour, et je me faisais un scrupule d’être venu mettre à contribution la délicatesse de cet homme pauvre qui m’offrait ainsi tout ce qu’il possédait. Notre repas terminé, comme le soleil se couchait, Panaïoti me proposa de sortir pour visiter le couvent avant la nuit.

Mes impressions furent les mêmes que lors de mon arrivée ; même silence, même tristesse, même misère partout. Les maisons étaient à peu de chose près toutes semblables, mais à mesure que nous avancions dans l’intérieur du village elles paraissaient plus sales et plus pauvres que celles qui. m’avaient frappé en entrant. Seule une petite église creusée, dans le rocher, à droite du précipice, me parut très propre et religieusement entretenue : c’était la cure de Panaïoti. Il prit plaisir à me la présenter dans tous ses détails et me fit admirer un vieux crucifix de bois finement sculpté, le pied presque enfoui dans un buisson de myrte sauvage et d’aneth, qu’il avait placé au-dessus de l’autel, puis quelques vases modernes