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expédition, et mes réflexions n’étaient pas de nature à me faire espérer que je réussirais. En Grèce, comme en France, il n’est pas bienséant qu’un homme visite seul un couvent de femmes, et je le savais assez pour n’avoir parlé de mon projet à personne en quittant Aigion. J’en avais dit quelques mots à Taxiarque au grammateus, que ma prétention avait fait rire, et qu’il avait refusé de prendre au sérieux. J’étais donc parti sans aucun renseignement, sans conseil, ne sachant rien, de ce que je voulais voir, sinon que c’était un couvent de femmes, et qu’il s’appelait Pépélénitza. On m’avait dit qu’il jouissait d’une assez mauvaise réputation ; quelques-unes des recluses avaient donné l’année précédente matière aux médisances en augmentant d’une façon inattendue la population du couvent. Les moines de Taxiarque, si voisins da Pépélénitza quand le torrent est à sec, avaient été quelque peu soupçonnés d’être les complices de cette fautes l’affaire s’était ébruitée, on en avait causé jusqu’à Athènes, le gouvernement s’en était ému, et il fut question de supprimer Pépélénitza. Les pénitentes perdaient ainsi leur établissement, leurs biens, et se voyaient rendues tout à coup à une société où elles couraient le risque d’être fort mal accueillies. Elles firent si bien qu’une des puissantes familles du pays, les X…, tout dévoués au clergé, prirent soin de leur cause et sauvèrent le couvent. C’étaient ces racontars qui m’avaient fait arrêter mon projet ; je comptais me présenter comme l’hôte des X… et prendre ainsi ma part de la reconnaissance qui leur était due. Ces réflexions en amenaient d’autres, toutes riantes, et je m’imaginais déjà, l’accueil de ces infortunées plus faibles que criminelles, heureuses de recevoir un étranger compatissant qui leur avait presque rendu la vie, car au milieu de toutes mes rêveries, je n’étais pas éloigné de croire que, puisque j’étais l’hôte des X.., j’étais leur sauveur moi-même.

J’avais marché toute la. journée sous bois ; avant, le soir, j’étais sur les crêtes arides que domine Pépélénitza. Une quinzaine de maisons, construites sur deux rochers séparés par un précipice que traversait un mauvais pont en planches, s’élevaient, adossées à un énorme roc d’où s’échappait une petite source. J’aperçus un chemin très raide qui montait vers le sud au village, et en quelques minutes je l’avais gravi.

Le soleil encore chaud éclairait la petite place où je me trouvais, — trois maisons à un étage, irrégulières, construites en pierre, percées de quelques fenêtres, se dressaient devant moi. — A mes pieds, de l’autre côté de la vallée, je voyais Taxiarque, dont les murailles blanches, dorées par le soleil couchant, brillaient au milieu des cyprès.

Je cherchai des yeux autour de mol un visage humain ; les