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au négociant, moins encore an journal. Le prix élevé de l’abonnement, en limitant à un petit nombre de lecteurs la circulation de la feuille, paralysait l’annonce. On tournait dans un cercle vicieux, car on ne pouvait élever le prix de cette dernière qu’à la condition d’augmenter le tirage et de réduire le prix de vente. Bennett, en mettant son journal à la portée de tous au prix réduit de 15 francs par an, s’assurait une circulation considérable, mais ruineuse, à moins de combler et au-delà le déficit par une extension considérable donnée à l’annonce. Il y réussit en remaniant le système en usage, en y introduisant la variété et la clarté.

Aucune annonce ne pouvait paraître plus d’une fois, à moins d’être modulée ou renouvelée. Insérée sous des rubriques spéciales, elle ne pouvait en rien se distinguer des autres, le type était uniforme, le prix le même. Les offres et les demandes étaient classées par catégories où chacun, suivant sa convenance, savait trouver ce qu’il cherchait. Lorsqu’en 1845, Bennett fut sollicité par l’administration fédérale de reproduire les avis officiels, il s’y refusa péremptoirement, alléguant qu’il ne reconnaissait pas à l’état le droit de fixer lui-même le prix qu’il lui convenait de payer, et n’admettant pas, disait-il, que le gouvernement jouît d’une faveur refusée aux simples particuliers. L’annonce est en effet tellement entrée dans les mœurs aux États-finis, que le gouvernement lui-même y a constamment recours, et se sert de ce moyen pour soutenir les journaux qui lui sont dévoués. Bennett déclara qu’entendant maintenir son indépendance et la mettre à l’abri de tout soupçon, il n’insérerait aucune annonce ministérielle.

Il pouvait s’en passer. Ce mode de rapports entre le consommateur et le producteur joue aux États-Unis et en Angleterre un rôle dont nous n’avons aucune idée. L’annonce est, pour la race anglo-saxonne, le premier et le dernier mot, l’âme même du commerce. Elle envahit tout, on la retrouve partout ; nouveau Protée, elle emprunte toutes les formes ; mais c’est surtout dans les journaux qu’elle se produit comme mn des rouages essentiels et organisés de la vie de tous les jours. Le grand négociant qui offre en vente un changement entier y a recours aussi bien que la modeste maîtresse de maison à la recherche d’une « bonne pour tout faire. » Appartemens à louer, chevaux et voitures à vendre, mobiliers à céder, offres d’association, tout s’y trouve. Sous le titre personal s’établit une correspondance secrète dont les seuls intéressés ont la clé. On y coudoie drames et comédies, romans d’amour, plaintes touchantes, avis grotesques. Le tableau est complet.

En parcourait les colonnes serrées, on peut mieux et plus facilement que par tout autre moyen, se faire une idée des mœurs,