Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/122

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il n’en eut ni le temps ni le loisir. Ge programme hardi, ou du moins qui parut tel aux autorités anglaises, attira sur la tête de l’éditeur la censure administrative ; dans les vingt-quatre heures, les exemplaires furent saisis, et Benjamin Harris invité à s’occuper d’autre chose que de renseigner, une fois par mois, ses concitoyens sur ce qui pouvait se passer à Boston ou ailleurs. Ce début était peu encourageant. Harris quitta Boston, se rendit à Londres et y fonda en 1705 le Post, qui vit encore et occupe un rang distingué dans la presse anglaise.

Pendant quatorze ans, aucune nouvelle tentative ne fut faite. De temps à autre, on recevait quelques feuilles imprimées à Londres ; on les lisait à haute voix sur les places publiques, elles circulaient ensuite de mains en mains jusqu’à ce qu’elles tombassent en morceaux, ou qu’un riche individu s’en rendît propriétaire. Maculées, à peine lisibles, elles se vendaient encore une livre sterling. Le génie pratique des Américains ne pouvait longtemps s’accommoder d’un pareil état de choses, et la presse allait faire son apparition définitive ; dans quelles conditions et dans quel milieu politique et social ? C’est ce que nous allons examiner. Pour avoir une idée du chemin parcouru, il importe de se rendre un compte exact du point de départ. Le contraste est tellement grand entre les colonies anglaises de l’Amérique en 1690 et la puissante république qui achève de célébrer l’anniversaire séculaire de son indépendance qu’aucun pays à aucune époque de l’histoire n’en a offert de pareil.

Les colonies anglaises comptaient alors près d’un million d’habitans de race blanche et de nègres, la plupart esclaves. Cette population, dispersée sur la côte et sur les rives des grands fleuves, était comme perdue dans un espace immense. Peu de grandes villes, quelques villages, beaucoup de fermes très éloignées les unes des autres, et çà et là sur la frontière française ou indienne quelques campemens de hardis colons, pionniers, chasseurs, trappeurs, ainsi se groupaient dans les colonies du nord les occupans du sol. Boston et Philadelphie étaient alors les villes principales ; elles renfermaient chacune environ 8,000 habitans. New-York, qui naissait à peine, en avait 6,000, et offrait l’aspect d’un grand village. On tirait tout d’Angleterre : en fait de commerce, celui du cabotage existait seul, mais déjà les populations des côtes s’exerçaient à la pêche et préludaient par de timides essais aux entreprises hardies qui devaient les entraîner plus tard à la poursuite des cachalots jusqu’aux régions du pôle. L’argent était rare, presque inconnu ; on avait recours aux échanges. En 1635, les achats se soldaient au moyen de balles de fusil ; une balle équivalait à un sou. En 1652, on frappa quelques pièces de monnaie ; pendant