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Le samedi 23 août 1766, Fréron s’échappe enfin de Paris, se jette dans un chaise de poste à deux places, son domestique à côté de lui et Thérèse entre eux deux, passe par Quimper, où il arrive le jeudi 28, vers cinq heures du soir, pour prendre une cousine, la met dans sa voiture en même temps que le domestique monte à cheval et court devant les trois chevaux de la chaise, et arrive enfin à Pont-l’Abbé. La noce eut lieu dans les premiers jours de septembre. Dès le 10 de ce mois, Fréron est à Quimper avec sa jeune femme. Le père et la mère du critique étaient certainement morts, car il n’est point question d’eux. Le pauvre joaillier et sa femme n’ont pas même un souvenir de leur enfant. Cependant Fréron possédait toujours cette maison de la rue Obscure où s’étaient passées ses premières années. Il la louait et sans doute la visita. Il décrit dans le plus grand détail l’accueil vraiment très bon, très empressé et très brillant que lui firent ses compatriotes. Ce ne sont, durant huit jours, que grandes mangeries, fêtes, dîners, soupers, où assiste tout Quimper, chez l’évêque, chez le procureur du roi, au collège des jésuites.

Fréron est enchanté de sa femme : elle réussit très bien dans le monde ; elle a le maintien le plus honnête et le plus aimable. Mais sait-on ce qui dans son Annétic lui plaît par-dessus tout, ce qui paraît même l’avoir agréablement surpris, comme s’il n’y comptait pas ? Le voici : « Je suis encore bien content d’elle par rapport au manger ; elle s’est modérée dans tous ces grands repas, et n’a pas eu jusqu’à présent la plus légère incommodité. » On sent que Fréron admire une si haute vertu et désespère d’atteindre à tant de perfection. Au reste, il n’y a plus lieu d’être surpris des « coliques d’entrailles » qui le torturaient sans doute à Quimper comme à Paris, lorsqu’on sait ce qu’il mangeait entre les repas sans nombre qu’on lui faisait faire dans sa ville natale. Il représente naïvement à sa belle-mère qu’elle lui a envoyé de Pont-l’Abbé des crêpes qui n’étaient pas bonnes : il les avait trouvées trop épaisses, trop grasses et pas assez sucrées. « Nous vous serons bien obligés, écrit-il, si vous voulez bien nous en envoyer vingt-quatre douzaines et recommander à la crêpière qu’elles soient meilleures ! » Fréron retourna à Pont-l’Abbé, puis revint à Paris.

Tous ces faits, qui sont de la plus grande exactitude, puisqu’ils sont tirés des lettres mêmes de Fréron, publiées par M. Du Chatellier, mettent à néant les calomnies insensées de l’avocat Royou contre Fréron, son beau-frère. Il fallait être aussi aveuglé par la haine que l’était Voltaire pour accueillir sérieusement le mémoire que cet homme lui envoya de Londres au commencement de l’année 1770. On y voit Fréron, trois jours après son mariage, dissiper à Brest avec