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de plus de 5,000 chevaux. Ces forces seront attribuées par souscription pour cinquante ans, à raison de 200 francs par an et par cheval évalué à 100 litres tombant à la seconde d’une hauteur de 1 mètre. Si l’on songe que le coût ordinaire d’une telle force motrice est au minimum de 500 francs quand on la produit par la vapeur, on reconnaîtra quelles facilités économiques la création de ce canal apportera à notre industrie, dont les développemens sont compromis par la cherté croissante de la houille. Comme le canal longe presque le chemin de fer de Lyon à Marseille sur un parcours de plus de 140 kilomètres, les usines hydrauliques pourront être établies à proximité des gares de la voie; elles se trouveront ainsi dans les meilleures conditions possibles de communications promptes et aisées. Du reste, entre les roches de Condrieu et Mornas, ce fleuve artificiel, large de 15 mètres, profond de 3 mètres et coulant en pente douce continue, pourrait être utilisé comme voie navigable, ainsi que cela a lieu pour la plupart des grands canaux d’irrigation construits dans ces derniers temps.

Nous avons dit que les pertes subies par la vallée du Rhône et par le littoral méditerranéen, que doit desservir le canal, étaient estimées annuellement à plus de 80 millions de francs. L’exécution du proiet de M. A. Dumont doit sûrement ranimer en peu d’années cette richesse évanouie, et par suite reconstituer très promptement le capital de 120 millions suffisans pour la construction du réseau complet de la canalisation. L’état, qui par les mille bras du fisc saisit la meilleure part de la fortune publique, sera le premier à profiter de l’accroissement des récoltes créées par l’eau. Il est certes équitable qu’il participe aux dépenses comme aux bénéfices. Les populations du Midi demandent donc que le trésor intervienne pour le tiers des frais du canal principal, évalués à 90 millions; ce serait ainsi 30 millions que l’état aurait à payer. Cette dépense ne serait pas imputée sur le présent; elle pourrait être répartie en annuités de 1,350,000 francs, si le paiement s’effectuait en quatre-vingt-dix ans au taux de 4 1/2 pour 100. C’est au prix de ce modeste sacrifice que le trésor sauverait la source d’un impôt presque centuple.

Outre ces résultats matériels considérables, l’œuvre aura des conséquences d’un ordre plus élevé. En engageant l’industrie à se porter le long du canal, loin de la funeste accumulation des villes, elle ne pourra qu’améliorer le sort des ouvriers, toujours plus précaire dans les grands centres qu’en rase campagne, et contribuer à la continuité de cet état de paix intérieure que le régime républicain nous a conservé dans ces cinq dernières années, et dont il a le sentiment d’avoir besoin plus que tout autre.

Favorisant la substitution des prairies au labourage, cette entreprise tendra aussi à améliorer l’existence des populations agricoles.