Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/929

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avantageusement dans la plaine ces nombreux troupeaux de moutons qui chaque été émigrent vers les Alpes, quand le soleil et le mistral ont desséché leurs pacages d’hiver. Or il est fort difficile de protéger les parties reboisées de ces montagnes contre la dent meurtrière des animaux qui détruisent toute végétation, laissant le sol dénudé et sans défense contre les érosions des pluies ou des neiges. Les matériaux ainsi charriés constituent le plus grand danger des inondations, parce qu’en barrant et obstruant le lit des rivières, ils en rejettent le flot sur les rives submergées. Les reboisemens, seuls capables de s’opposer à ces funestes érosions, ne feront donc des progrès sérieux dans les Alpes que le jour où, grâce aux irrigations, les troupeaux transhumans trouveront dans la plaine un pâturage plus substantiel et moins pénible que les pâtures alpestres. De ce jour-là seulement les inondations seront sinon moins fréquentes, du moins infiniment moins dangereuses. On voit donc par quelle étroite solidarité la préservation des montagnes dépend de l’amélioration des plaines par les arrosages.

L’eau serait surtout le salut des vignobles atteints par le phylloxéra. Bien des essais ont été faits contre cet imperceptible ennemi, dont l’invasion menace de laisser autant de maux que celle des hordes qui nous ont si méthodiquement pillés. De mille expériences répétées et suivies avec la plus grande attention, il résulte qu’il n’y a vraiment que deux moyens de préservation : l’emploi du sulfure de carbone et la submersion durant quelques semaines en hiver. Le premier moyen est plus coûteux et moins absolu que le second, dont l’usage tend à se développer. Malheureusement il ne saurait être général; pourtant les Alpes et les Pyrénées, où les neiges accumulent chaque hiver d’immenses provisions d’eau, dominent nos vignobles les plus importans, ceux de la vallée du Rhône et ceux de la Garonne jusqu’au Bordelais. L’impossibilité de préserver ainsi la grande majorité des vignes en France tient donc au manque de canaux et non au manque d’eau. Il est même constaté que le coût de tels travaux, quelque grand qu’il puisse être, serait remboursé en deux ou trois ans au plus par la conservation et mieux encore par l’accroissement des produits de nos vignobles sous l’action fertilisante de l’eau.

Tout en réduisant les cultivateurs à la misère, la graduelle disparition de ces produits nuit à nos exportations maritimes, tarit un des meilleurs revenus du trésor et provoque dans les choses de la vie un enchérissement général. Il est certain que, si le déficit du vin continue à s’aggraver, il en résultera dans les moyens d’existence une perturbation qui aura le plus funeste contre-coup sur notre production industrielle, en atteignant surtout la classe ouvrière. Le recours immédiat à une plus générale utilisation de