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permette de répéter nos propres paroles), autant vaudrait inviter le fleuve à remonter vers sa source[1]. D’ailleurs, plus que jamais on doit prendre garde aujourd’hui de toucher à l’existence de ces maisons qui sont les derniers asiles où la jeunesse française, sans distinction d’opinion religieuse, soit obligée de se rencontrer et de se connaître. Essayer de concilier avec le régime des écoles spéciales le fonctionnement d’universités actives et vivaces : telle est la seconde donnée du problème qui va s’imposer au ministre et aux chambres.

Nous signalerons une troisième et dernière difficulté qui tient à l’organisation de notre système universitaire, et aux habitudes que cette organisation déjà ancienne a produites. Certains de nos professeurs, dès qu’ils voient paraître les idées sur lesquelles pivotent les projets de réforme, ne peuvent retenir leur indignation. — Faire payer les cours par les élèves? Y pensez-vous? Mais ce serait demander aux professeurs de tendre la sébile au public ! — Laisser enseigner dans les bâtimens de l’état des maîtres non rétribués sur le budget? Mais c’est changer la faculté en un caravansérail, en un marché public ! — Cette manière de voir, qui déconcerte les esprits que la vue des universités étrangères a familiarisés avec d’autres institutions, a pourtant, comme tous les préjugés, ses raisons d’être. On ne prend pas toujours garde que nos facultés de droit, de médecine, des lettres, des sciences, ont un double caractère : ce sont d’abord des établissemens d’instruction; mais, à la différence des universités étrangères, ce sont aussi de permanens jurys d’examen. Le mélange de ces deux fonctions a produit un esprit de corps d’une nature à part. En Allemagne, c’est seulement à la fin des études, dans un examen qui ne conduit directement à rien, le doctorat, que l’élève est interrogé et jugé par ses professeurs. Toutes les autres épreuves ont lieu plus tard, en dehors de l’université, devant des commissions spéciales. Pendant le triennium academicum, l’étudiant allemand ne connaît ses maîtres que comme des docteurs qui lui offrent-la science, et il ne met entre eux d’autre différence que celle du plus ou moins d’instruction qu’il espère retirer de leurs leçons. L’opinion publique consacre cette façon d’envisager les choses. Un professeur qui abuserait de sa situation officielle pour peser sur le libre choix des élèves serait mis à l’index : son propre intérêt lui commande l’impartialité.

Si l’on met en regard de cette organisation celle de nos facultés, où les professeurs, en délivrant des diplômes, exercent une délégation de l’état, on comprend qu’il s’élève de ce côté des répugnances et des objections. Peut-être d’autres motifs, de nature plus personnelle,

  1. Quelques Mots sur l’instruction publique en France, p. 363.