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Lille dans la faculté de l’état et dans la faculté libre : la seule différence qu’on y pourra constater sera dans le mérite des professeurs. Comme les ressources du pays en savans ne sont pas illimitées, il faut bien se montrer moins exigeant sur la qualité des maîtres. Le nombre des étudians est lui-même limité par la force des choses : au sein d’une même province, parfois d’une même ville, la loi nouvelle distrait des établissemens de l’état, qui devraient être le commun foyer de la science, une portion de la jeunesse. Au lieu d’un mélange salutaire à tous et nécessaire à l’unité intellectuelle de la nation, on introduit le régime de la séparation, fertile en malentendus et en défiances, non moins nuisible dans le présent que dangereux pour l’avenir.

Ce n’est pas là une de ces émulations qui doublent l’activité et qui accroissent la fortune publique ; c’est plutôt une de ces concurrences qui ont pour principal effet d’abaisser la qualité des produits. L’épreuve est déjà commencée : ceux qui naguère avaient à la bouche les mots de liberté des méthodes et de féconde rivalité ne parlent plus aujourd’hui que de candidats reçus. « L’université libre d’Angers a fait recevoir 24 licenciés sur 30 candidats proposés... Tous les docteurs proposés par l’université libre de Paris ont été admis. » Voilà ce que nous devons nous attendre désormais à lire deux ou trois fois par an dans les journaux. Cette sorte de publicité, qui n’avait pas encore franchi l’enseignement secondaire, où elle fait déjà une assez triste impression, s’est emparée de l’instruction supérieure. Dans cette lutte, la partie n’est pas égale. L’université, quels que soient ses défauts, enseigne pour enseigner, tandis que le clergé, en donnant ses leçons et en préparant ses candidats, poursuit un autre but, qui est de consolider sa situation dans le pays et d’assurer son empire sur les esprits ; il n’est donc pas surprenant qu’il vise avant tout les succès à enregistrer dans les journaux. Partout où nous avons vu s’établir cette concurrence, elle a entraîné après elle une graduelle et irrésistible décadence des études. Espérons au moins que la concession qui a permis aux universités libres de s’installer jusque dans les jurys d’examen n’est pas définitive, et qu’un jour viendra où l’état reprendra la possession exclusive d’un droit dont il n’aurait jamais dû se dessaisir. On n’a pas de peine à comprendre quel obstacle l’existence de ces universités libres oppose à une réforme de l’enseignement supérieur. Tout ce qui tend à renouveler, à élargir les études va rencontrer l’opposition de ces maisons où l’on produit au meilleur marché et où, l’outillage une fois établi, on désire n’avoir pas à le modifier. Des programmes bien définis, des examens à organisation invariable, voilà ce que dès aujourd’hui elles demandent, et ce