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raison réputée assez vacillante, quand on le voyait mêlé à toutes ces fêtes profanes, bals, tournois, spectacles, courses de bagues et de barrières, brillant entre tous par sa dextérité d’écuyer, ses grâces mondaines, son bel air, son bel gigneto, entouré de « l’escadron » perfide des filles d’honneur de la reine-mère, oubliant sa noble et fidèle épouse dans les bras de ces faciles beautés? » Le bruit des désordres de Condé était arrivé à Genève : Jean Calvin et Théodore de Bèze lui écrivirent une lettre, pleine de conseils graves et affectueux : « Mais quand on nous a dict que vous faites l’amour aux dames, cela est pour déroger beaucoup à vostre austérité et réputation. Les bonnes gens en seront offensés; les malins en feront leur risée. Il y a là une distraction qui vous empesche et retarde à vaquer à vostre debvoir; mesmes il ne se peult faire qu’il n’y ait de la vanité mondaine, et il vous fault surtout donner garde que la clarté que Dieu a mise en vous ne s’estouffe et ne s’amortisse. » (13 septembre 1563.)

Quand Calvin et Bèze donnaient cet avertissement à Condé, celui-ci avait déjà quitté la cour et était parti pour la Normandie pour se rendre à l’armée. Sa femme s’était rendue à Gaillon avec la comtesse de Roye; elle y faillit mourir de la petite vérole. La comtesse de Roye tomba malade à son tour, et la princesse de Condé, encore mal rétablie, acheva de s’épuiser en soignant sa mère. Elles quittèrent enfin toutes deux Gaillon, pour se rendre à Muret. Pendant ce temps, Condé était à l’armée : il parut un moment à Muret, après la prise du Havre, avec La Rochefoucauld et le prince de Portien. La mort donnait à Condé des avertissemens plus éloquens que ceux de Calvin et de Bèze : elle lui prit deux enfans, Madeleine et Louis de Bourbon, qui moururent à peu de jours de distance, à Muret, Madeleine à l’âge de trois ans, Louis à l’âge de dix-huit mois. On peut imaginer l’état de la princesse en deuil, usée et minée par la maladie, séparée de son mari, qui était retenu à la cour, quand elle apprit qu’une des femmes de Catherine de Médicis, Isabelle de Limeuil, avait accouché à Dijon, pendant un voyage du roi, dans la chambre même de la reine, d’un fils dont le père, elle le disait hautement, était Condé. La reine mère déploya en cette circonstance une grande sévérité : bien qu’Isabelle de Limeuil fût un peu sa parente, elle la fit arrêter, et l’on commença contre elle une « information. » Les détails en ont été donnés par M. le duc d’Aumale dans un livre publié par la Société anglaise des Philobiblon, On voulait compromettre Condé et « élever la faute de la Limeuil jusqu’à la hauteur d’un crime d’état. » Deux évêques, celui de Limoges et celui d’Orléans, furent chargés de l’information. Ils entendirent Charles de la Marck, comte de Maulevrier : celui-ci accusa la Limeuil