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beaucoup de gens les souhaitent meilleures, je vous prie ne le trouver estrange, veu qu’en cela ils s’acordent avec vous. » Il l’exhorte ensuite à tenir la main à la fidèle exécution de l’édit. C’est ce qu’il fît en toute circonstance : il usa à la cour, à Amboise et à Saint-Germain, du droit de faire célébrer le culte nouveau dans sa maison et le fit célébrer dans les appartemens royaux. Il était toujours prêt à prendre en main, comme la princesse, la cause des petites églises contrariées dans l’exercice de leur foi.

En quittant Saint-Germain, la cour se porta à Vincennes. Le juin, le roi se rendit à Paris pour une procession. Condé l’accompagna jusqu’à la porte de la cathédrale. Le roi revint le soir à Vincennes avec sa mère et Condé. On trouva à la porte Saint-Martin 600 cavaliers, qui n’osèrent attaquer la voiture royale; Éléonore de Roye suivait en litière, avec quelques gentilshommes d’escorte. On se jeta sur elle; elle fut sauvée par l’adresse de son cocher et le courage de son escorte. Le capitaine fut tué, et cinq de ses gentilshommes furent retenus prisonniers.

Condé menaça de partir, avec sa femme, pour La Ferté-sous-Jouarre, s’il n’obtenait justice. Catherine lui fit de belles promesses, mais les coupables restèrent impunis. La princesse de Condé eut peu après la joie de voir revenir d’Allemagne sa mère, la comtesse de Roye, qui lui ramenait ses enfans. Catherine de Médicis fit très bon accueil à Mme de Roye, qui entretenait des rapports intimes avec les princes allemands[1] et qu’elle avait déjà commencé d’employer dans les pourparlers relatifs au mariage qu’elle projetait entre Charles IX et la fille aînée du roi Maximilien. « La belle-mère du prince de Condé, écrit Smith, l’ambassadeur d’Angleterre, à Cecil, est arrivée à la cour. La reine-mère l’a accueillie avec les plus grands égards et lui a donné le pas sur la duchesse de Guise. »

Catherine avait habilement choisi les points où l’âme de Condé était le plus chatouilleuse et le plus vulnérable. Elle l’avait intéressé, et avait intéressé sa belle-mère et sa femme à la reprise du Havre, espérant ainsi obtenir un double avantage : reconquérir une ville importante pour son fils, brouiller Condé et les huguenots avec la reine d’Angleterre. Quand le tentateur veut corrompre une grande âme, il ne parle pas seulement aux passions ignobles, il flatte en même temps quelque passion élevée. Il glisse la faute au fond d’une ivresse généreuse. Il n’y avait pas de plus sûr moyen de gagner Condé que de lui donner une tâche guerrière et

  1. On conserve aux archives de Stuttgart une note qui rend compte des tentatives faites par Mme de Roye pour établir un concert entre le prince de Condé et « messieurs les princes du saint-empire, » en vue des affaires de la religion et aussi afin d’obtenir l’abandon du Havre par la reine Elisabeth d’Angleterre.