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écrivit aux réformés de Genève pour leur demander un prédicateur pour sa famille. « Mme de Roye, écrivait le 11 septembre 1559 à Calvin Fr. de Morel, une de ses compatriotes, est une véritable héroïne. Comme elle s’apitoyait sur notre sort devant la reine-mère, et qu’elle rappelait la mort étrange qui a frappé le roi (Henri II), au moment où il nous persécutait le plus cruellement, la reine s’écria : — Comment! j’entends dire qu’il n’existe aucune race plus haïssable. — Mme de Roye répondit qu’il est facile de nous imputer n’importe quoi, puisque personne ne peut nous défendre. » Mme de Roye obtint que la reine verrait secrètement Laroche-Chaudieu, un ministre de l’église de Paris; mais Chaudieu ne put jamais obtenir son audience, bien qu’il allât près de Reims pendant les fêtes du sacre de François II. Cette anecdote a un double intérêt : elle montre comment la princesse de Condé fut conduite à l’Évangile par son amour filial; elle fait voir aussi que les premiers protestans espéraient très naïvement convertir la monarchie; ils ne prévoyaient pas les grands déchiremens qui allaient ensanglanter la France. Ils glissaient dans la guerre civile : les meilleurs ne songeaient qu’aux choses du ciel; les femmes surtout étaient de ce nombre. Leur délicatesse était offensée des désordres de la vie monacale, des complaisances des évêques pour une cour corrompue : leurs âmes vierges étaient pareilles aux châteaux où elles passaient le meilleur de la vie, gardés par des tours, des ponts-levis et des herses : elles rêvaient une religion solitaire qui ne mette rien entre l’homme et Dieu, une foi personnelle, directement inspirée du livre divin. On ne désespérait pas encore d’amener la nation entière au pur Évangile, de lui consacrer les vieux temples, les cathédrales. On se disputait non-seulement la monarchie, mais le clergé, les églises, le peuple des villes et des compagnes.

La France avait été sauvée par Guise : aussi, quand la mort d’Henri II laissa le trône à un enfant, les Guise parurent les vrais souverains de la France. Condé n’avait point la foi ardente et naïve de sa femme : il renonça sans doute à la messe moins par amour du prêche que pour devenir, en sa qualité de prince du sang, le chef du parti opposé à la maison de Lorraine. Condé n’était que le second prince du sang, mais il connaissait mieux que personne la faiblesse et la versatilité de son frère; il était pressé d’agir et de faire une prise d’armes. Faut-il le dire? il était dans la gêne, et le besoin d’argent pousse les hommes aux résolutions désespérées. Éléonore de Roye avait donné en gage à des marchands, pour une somme de 20,000 livres, des bijoux et des objets précieux qui en valaient 100,000. Elle avait accouché en juillet 1660 d’une nouvelle fille qu’elle nomma Madeleine en souvenir de sa mère, et elle