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de la duchesse de Ferrare sera prochainement, nous l’espérons, racontée avec de grands détails. Tout récemment le comte Jules Delaborde vient de tracer avec une sorte de piété le portrait d’une autre princesse protestante, d’Éléonore de Roye, la première femme de Condé. Déjà M. le duc d’Aumale, dans son Histoire des princes de Condé, avait raconté cette vie si courte et si traversée d’épreuves ; mais dans cette Histoire la princesse ne figure en quelque sorte qu’au second plan : elle sert de satellite à la figure vivante, animée et parfois héroïque de celui qui le premier porta le nom de prince de Condé. Dans l’ouvrage du comte Delaborde, tous les rayons de l’histoire sont projetés sur Éléonore de Roye ; l’écrivain protestant s’est épris de cette faible et tendre fleur du parterre du XVIe siècle, sitôt tranchée dans sa racine. Son style est monté sur le ton de l’hagiologie ; bien qu’il s’agisse d’une huguenote, son récit a la ferveur de la Vie des Saints. Son héroïne lui sert, si l’on m’accorde un mot employé par les peintres, de repoussoir contre toutes les impuretés, les vices et les horreurs d’un temps lamentable. Eléonore de Roye mérite assurément tous les éloges ; pourtant on voudrait trouver dans le portrait qui nous en est donné quelque chose d’un peu plus humain et plus terrestre. Il y a forcément quelque faiblesse dans les plus grands cœurs : le temps en efface sans doute la trace ; il ne laisse subsister que les actes, les lignes monumentales du caractère. L’historien moraliste doit s’efforcer pourtant, s’il veut rendre la vie à la poussière, de ne pas oublier la complexité de la nature humaine et de chercher, à travers et sous les plus grandes actions, ce qui les rend encore plus méritoires, ce je ne sais quoi que nous charrions dans notre sang et qui appartient toujours au vieil homme, lors même que nos yeux ont aperçu la vérité et que nos cœurs ont été touchés de la grâce ineffable.

Il n’est peut-être pas généreux de chercher curieusement ce qui a pu faire défaut à ceux que le malheur a trop éprouvés, et Éléonore de Roye est de ce nombre. Nous aurons peu de chose à dire de son enfance. Sa grand’mère était Louise de Montmorency, la sœur du connétable Anne, son grand-père Ferry de Mailly. Louise de Montmorency avait épousé en secondes noces le maréchal de Coligny, père du fameux amiral. Une des filles qu’elle avait eues de son premier mariage, Madeleine de Mailly, fut mariée en 1512 à Charles de Roye[1]. Éléonore vint au monde le 24 février 1535, au château de Châtillon-sur-Loing, où demeurait sa grand’mère. Elle eut deux marraines : Éléonore, la seconde femme de François Ier,

  1. Seigneur de Roye, de Muret, de Buzancy, de Nisy-le-Comte, d’Aulnay, de Pierrepont et de Coulommiers.